
- Journal de Julie Manet
- Qui est Misia?
- La Grangette
- Misia et Mallarmé à Valvins
- Le Cygne de Ravel
- Au cimetière de Samoreau
Journal de Julie Manet
Vendredi 18 septembre 1896
Passé la soirée chez les Natanson. Mme Natanson était charmante dans une robe bleu clair à taille courte avec une très jolie collerette blanche, décolleté en carré et les manches courtes; autour de son joli cou si rond et si blanc s’enroulait un collier. Elle a joué la symphonie en ut mineur de Beethoven, d’une façon extraordinaire, triste, grande, grave rendant la sonorité de tous les instruments de l’orchestre. Elle a un beau jeu, puissant, large mais pas français du tout.
(Journal de Julie Manet)
Lundi 21 septembre 1896
Jeannie et moi avons passé la soirée chez les Natanson (à la Grangette) où se trouvaient les Mallarmé et les Bourges. Mme Natanson a joué de charmantes danses de Haendel, entre autres la Passacaille qu’elle a enlevée comme d’un coup d’archet.
(Journal de Julie Manet)

Qui est Misia?
Enfant déjà, pianiste de talent, «elle jouait du Beethoven sur les genoux de Liszt».
Comme son père est trop pris pour s’occuper d’elle, Misia Sert est élevée jusqu’à l’âge de dix ans en Belgique par sa grand-mère dans sa propriété de Halle, où l’activité musicale reste intense malgré la mort quelques années plus tôt d’Adrien-François Servais. C’est là que Misia fait la connaissance de Franz Liszt, hôte régulier de la maison, c’est là aussi qu’elle apprend, presque seule, à jouer du piano en stupéfiant son entourage par ses dons.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Misia_Sert
La Grangette



Pour se rapprocher de Mallarmé, les Natanson (Thadée et Misia) achètent en 1896 une maison à Valvins, la Grangette, en bord de Seine face à la forêt de Fontainebleau, où ils reçoivent à la belle saison les écrivains et les peintres de leur cercle de la Revue Blanche, dont Vuillard, Bonnard et Toulouse-Lautrec. Mais au bout d’un an, ils quittent cette maison trop petite pour accueillir leurs nombreux amis et s’installent au Relais à Villeneuve-sur-Yonne. C’est le frère de Misia, Cipa Godebski, qui reprend la Grangette avec sa femme Ida. Mais le 9 septembre 1898, la nouvelle de la mort de Mallarmé est ressentie par eux comme une perte irréparable. Ils se retrouvent, avec Cipa et sa jeune femme, l’équipe de la revue et Renoir, ami de longue date du défunt, pour son enterrement à Samoreau, le cimetière où Misia le rejoindra.
Misia et Mallarmé à Valvins
Valvins n’était pas inconnu à Misia car son père y possédait une grande villa et que son ami Mallarmé y passait ses étés. Elle s’y installa avec son premier mari Thadée Natanson, le fondateur de la Revue Blanche, une revue littéraire et artistique, de sensibilité anarchique, à laquelle collaborèrent les plus grands écrivains de l’époque.
Ce fut une période magique dans la vie de Misia. En tant que femme mariée possédant sa propre maison de campagne, elle était en mesure de savourer les plaisirs juvéniles, la vie sans contrainte qu’elle aimait tant : celle d’une artiste parmi les artistes. La Grangette devint rapidement l’annexe estivale de la Revue Blanche. Elle déclara : « mais j’avais fait un tri et invité surtout ceux que choisissait mon cœur : Vuillard et Bonnard s’étaient installés chez moi une fois pour toutes et Toulouse-Lautrec venait régulièrement du samedi au mardi. »
Les artistes peignaient tout ce qui attirait leur regard : La Grangette, le jardin, la maison de Mallarmé, la Seine sillonnée de bateaux. Ils se peignaient aussi mutuellement, mais par-dessus tout, ils peignaient Misia : Misia en train de coudre, Misia se promenant dans les champs, Misia au piano. Elle était leur muse campagnarde. Les semaines passaient comme l’éclair en pique-niques et en réceptions, en séance de théâtre amateur et en jeux de salon, en promenade à bicyclette ou en voilier sur le fleuve, en festins accompagnés de musique, de conversation et de rires.
De nombreux amis habitaient la campagne aux environs de Fontainebleau. Outre les Mallarmé, il y avait les Bourges, les Redon, les Mirbeau et les Poniatowski, – qui se rendaient constamment visite les uns les autres. Les amis arrivant de Paris par le train étaient accueillis par les Natanson dans leur voiture, l’intrépide Misia tenant les rênes. Parfois lorsque le soleil brillait, Misia venait les chercher en bicyclette et les ramenait jusqu’ à La Grangette par les sentiers de la forêt. Des fenêtres de son rustique atelier où elle avait installé son piano, Misia apercevait le pont qui enjambait le fleuve et l’élégante petite yole de Mallarmé qui dansait sur les flots.
Henri Mondor en fait allusion dans sa biographie sur Mallarmé :
« Parmi les fidèles de Valvins, il y a une très jeune femme que Mallarmé emmène parfois sur un canot. Il lui explique des choses merveilleuses; il nomme les constellations, rêve de jolis vocables assemblés comme elles. Chaque mot pour lui éveille un monde d’images dont il fait voir quelques unes à la jeune personne. Celle-ci comprend, découvre une vérité supérieure, rentre, ivre du maître. « Qu’a-t-il dit? »…. Elle ne sait plus rien. Elle croyait être… comme la jeune fille aveugle du conte d’Andersen qui tient dans sa main fermée un peu de poussière de la pierre des sages; quand elle ouvre la main devant le livre où sont écrits les grands mystères du monde, une lumière éblouissante tombe sur la page, tout devient clair… Loin du sorcier, l’apprenti ne sait plus rien. »
En échange des histoires qui lui contait Mallarmé, Misia, les sourcils froncés d’application, lui jouait Beethoven et Schubert. De la pièce faiblement éclairée sous les poutres, le poète contemplait le fleuve qui coulait vers la mer. Puis, allumant sa pipe, il sombrait dans une profonde rêverie, « un homme », selon son expression, « au rêve habitué ». Jamais Misia n’avait eu auditeur plus sensible.
Tandis que la phrase musicale naissait, respirait, prenait forme, s’affirmait dans ce silence dont la qualité singulière procédait de sa présence, une fragile et si étroite communion émotive nous unissait que le rythme de sa pensée montait à mes lèvres :
… Et dans le soir tu m’es en riant apparue
Et j’ai cru voir la fée au chapeau de clarté
Qui jadis sur mes beaux sommeils d’enfant gâté
Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées
Neiger de blancs bouquets d’étoiles parfumées.
Ces vers extraits d’Apparition de Mallarmé, qu’elle se chuchotait en jouant, semblaient à Misia « des mots ciselés dans mille pierres précieuses dont les facettes brusquement m’éblouissaient, m’aveuglaient si merveilleusement que mes yeux s’embuaient de larmes. A bout de force, je sentais la musique s’éteindre et mourir sous mes doigts ».
Mallarmé avait l’habitude de donner aux dames qu’il admirait particulièrement des éventails en papier japonais sur lesquels il avait écrit des poèmes en forme de Haïku. Chaque année pour le jour de l’an, Misia recevait un pâté de foie gras et un éventail. Le seul qui ait survécu porte ces vers charmants célébrant le jeu tempétueux de Misia :
Aile que du papier reploie
Bats toute si t’initia
Naguère à l’orage et la joie
De son piano Misia.
Extraits du livre « Misia » de Gold et Fizdale (p.75 à 80)

Papier japonais décoré
Le Cygne de Ravel
Et on dit que Ravel dans ses Histoires naturelles a dépeint un peu Misia Sert en tout cas dans sa musique à travers le poème de Jules Renard Le Cygne c’est vrai ?
Marie Robert répond :
– C’est vrai, absolument, Le Cygne qui lui est dédié d’ailleurs, peut être un portrait ambivalent de Misia, animal gracieux mais qui engraisse, gavée par la boue et peut-être la boue de l’argent à cette époque-là.
Plus d’information sur cette question : La Valse de Ravel… ou le bal des hypocrites ?
Au cimetière de Samoreau

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