
FONTAINEBLEAU
Ebauche De La Forêt
Le sol de la forêt, rocailleux ou boisé,
Monte, descend, bondit, puis retombe écrasé
Sous le poids des rochers, et creusant un abîme,
S’engloutit avec eux dans un chaos sublime ;
Puis, déroule des champs pleins de tranquillité…
Recommençant toujours, en son immensité,
Les vallons, les ravins, les rochers et les chênes,
Soulevant des coteaux et déployant des plaines !…
Au loin, îles peupliers que balancent les vents
S’entr’ouvrent ; des maisons blanches, des blés mouvants,
La Seine serpentant dans l’herbe, des villages,
Sillonnent de clartés le rideau de feuillages.
Aux pentes des ravins, des rochers suspendus
Semblent rouler encor, culbutés, éperdus…
On voit, dans le passé, comme à travers un prisme.
Un inonde s’écrouler ; l’écho du cataclysme
Vibre à travers les temps. — On rêve, on se souvient
D’un combat de Titans, d’un chaos diluvien !…
Entre deux monts massifs et tout noirs de feuillages
Des tourbillons de jour baignent des paysages.
A travers un brouillard d’or, au fond d’un ciel pur,
Fument, à l’horizon, des collines d’azur.
Par delà ces hauteurs limitrophes, l’air passe :
Où l’œil ne peut plus voir, il devine l’espace !…
Sur le ciel du couchant des feuillages foncés
Précipitent leurs flots moutonnants, entassés…
Ici, se dresse un bois de hêtres et de chênes,
Semés par la nature, au hasard, à mains pleines.
Eclatant dans les airs en rameaux vigoureux ;
Lorsque le vent du soir souffle et passe sur eux,
Il semble que la mer accourt échevelée,
Et roule en mugissant dans l’épaisse feuillée !
Là, comme un bon accueil, on trouve une oasis,
Des mousses, des gazons où l’on vivrait assis !
Tout à coup, des vallons enlacent un bocage
Plein de petits oiseaux dont il semble la cage.
Là, ce n’est que beau temps, que verdure et que chants :
Les cieux sont toujours bleus, toujours fleuris les champs !
Là, comme on est heureux de respirer, de vivre,
De feuilleter son cœur dont le temps fait un livre
Où le bonheur passé se retrouve imprimé !
Comme on relit la page où l’on se crut aimé !…
Je sens comme un baiser qui tombe du feuillage
M’effleurer fraîchement les mains et le visage…
J’entends toutes les voix du passé m’appeler
Dans les frissonnements des feuilles, et parler…
Je hume les parfums mélangés des verdures,
Les haleines des fleurs… — D’harmonieux murmures,
Des sons vagues et doux errent autour de moi…
Je suis prêt à pleurer, et j’ignore pourquoi…
Ainsi la rêverie, en une douce extase,
Suspend après vos cils une légère gaze…
On renaît, on revit ses vingt ans, ses beaux jours’…
On se voit à côté des anciennes amours,
Dans le demi-jour vert d’une ombreuse avenue,
Enlaçant de son bras une taille connue
Dont la chaleur palpite encore sous les doigts..
On écoute en son cœur l’entretien d’autrefois…
On reconnaît les sons, les senteurs, le vent même..
On est seul à présent, et cependant on aime !…
Puis, le chaos ! — Des blocs et des entassements
De rochers désolés ; d’énormes ossements,
Des têtes et des bras et des jambes de pierre ;
Des granits prosternés qui semblent en prière !..
Comme ils souffrent, ces rocs, et hurlent de douleur,
Sans qu’on entende un cri, sans que paraisse un pleur !
Tout est calme autour d’eux : ils roulent immobiles
Dans leurs contorsions muettes et tranquilles !…
Leurs cris et leurs sanglots sont restés dans le vent !
L’air même est imprégné d’un fluide émouvant.
Ces mornes désespoirs de rochers sont horribles…
Dans leur sombre passé que d’histoires terribles !..
Depuis combien de temps ces géants enclavés
Implorent-ils le ciel avec leurs bras levés ?…
Puis des génevriers, dont la séve et la force
De végétation ont fait craquer l’écorce,
Heureux, dans le plein air étalant leur santé,
Excitent l’appétit d’air et de liberté !
D’un jet s’élance au ciel le plus altier des chênes !
Pas un arbre ne croît sous ses branches hautaines ;
Les chênes d’alentour ne viennent pas mêler
Leurs feuillages au sien, et, pour les refouler,
Il étend ses rameaux, tant qu’il peut, dans l’espace
Il ne s’incline pas quand la tempête passe !…
L’ouragan déchaîné tournoie en mugissant
Dans sa ramure ; et lui, superbe, grandissant,
Dans le feu des éclairs, et portant haut la tête,
Entre ses bras craquants étouffe la tempête !…
Sur un sol hérissé de quartz, de rocs à pics,
Se chauffent au soleil des lézards, des aspics,
Auprès de flaques d’eaux dormantes. — On frissonne,
Et le froid du serpent court dans votre personne,
Avant qu’on ait ouï le frôlement léger
D’un reptile, fuyant lui-même le danger.
Puis des embrassements, des fureurs, des batailles
De branchages, de troncs, de feuilles, de broussailles !…
L’aubépin laisse choir ses rameaux lourds de fleurs ;
L’or clair des genêts luit dans les sombres couleurs.
Escaladant les rocs, des landes de bruyères
Envahissent le sol et poussent dans les pierres !…
— Sur tous les horizons ; des feuillages massés
Sont d’ombre et de lumière à la fois nuancés…
Quelle nuit calme et fraîche il fait sous ces ombrages !..
Puis, le jour resplendit dans de verts pâturages
Où paissent des moutons, des vaches et des bœufs.
Le chien, assis, l’oreille au guet, veille sur eux ;
Il ne quitte de l’œil pas une de ses bêtes !…
Le vieux pâtre s’endort au son de leurs sonnettes…
Le soleil est partout ! Dans ses rayons brûlants
Bourdonnent des milliers d’insectes scintillants.
L’haleine du printemps vous jette, par bouffées.
Des verdures, des bois les senteurs échauffées
Qui vous rendent pensif et vous prennent au cœur.
Dans l’air tiède, le pin, exhalant son odeur
Qu’on boit, qu’on sent couler en soi, qui vous pénètre,
Excite un sentiment de joie et de bien-être.
Au milieu d’un chemin qui, dans l’ombre des bois,
Jaillit, plein de soleil, une biche aux abois
Passe comme l’éclair ! — La forêt recueillie,
En son vaste silence et sa mélancolie,
Écoute le coucou, caché dans les massifs,
Qui chante sa chanson aux arbres attentifs…
Au fond des grottes, d’ombre et de mystère pleines,
Erre un parfum d’amour. Des soupirs, des haleines,
Des mots ailés, rêvés, — ainsi qu’un frôlement,
Dans le calme et la nuit bruissent doucement…
Dans le feuillage fin comme de la dentelle
Des bouleaux tremblotants, l’air, le jour étincelle.
Des sapins, dans le fond, dressent leur sombre vert,
Des sanglantes lueurs de l’occident couvert…
La campagne à présent semble reprendre haleine…
De ses derniers rayons, qni traversent la plaine,
Teignant les sommets verts des bois de pourpre et d’or.
Le soleil se retire et la forêt s’endort..
0 tranquille forêt ! dans ta mélancolie
J’aime à baigner mon cœur… Là, je rêve et j’oublie…
Tout ton passé renaît : — dans les lointains des bois
S’effacent enlacés des dames et des rois…
(les hêtres frissonnants, dans leur ombre sereine,
Ont vu Mohaldeschi passer avec sa reine !…
Des légendes d’amour, des ballades de’mort.
Des poèmes vécus, se déroulent encor !…
Ces arbres du passé qui frémit dans leurs cimes,
Savent bien des amours, sans doute, et bien des crimes !…
L’ombre de leur feuillage a bien souvent passé
Sur le front d’un poète ou d’un roi trépassé !…
Là-bas, sous ce grand arbre, au pied d’une colline,
Lantaiu garde encor ses troupeaux et dessine…
Les prés et les vallons, les bois, sont pleins d’espoir…
Il passe son enfance à regarder, à voir !…
11 sent le germe, en lui, qui doit devenir chêne !…
Il hume la forêt et boit dans son haleine
La poésie… il croit !… Ce pauvre Lantaha !
Ce fut par charité, dit-on, qu’on l’enterra !…
Voici Napoléon ! — Ses yeux semblent deux larmes…
Ses grognards alignés lui présentent les armes…
D’un regard, il parcourt le front des bataillons !…
Il pleura, ce jour-là, comme font les lions,
— De rage et d’impuissance ! — Ah ! si de sa mitraille
11 eût pu rallumer encore la bataille,
Et de Fontainebleau s’élancer à Paris
Dans un coup de canon !… comme il l’aurait repris !
Ah ! comme il se serait rué, tête baissée,
Sur la ligne ennemie et l’aurait enfoncée !…
S’il avait tout à coup à l’horizon paru,
Comme sous son cheval Paris fut accouru !
Et pourtant, — au-dessus de l’armée étrangère,
Planait la liberté, — non devant, — mais derrière !…
Sombre Fontainebleau, l’univers tout entier
Peut puiser des leçons dans ton moindre sentier :
Pour moi, j’y viens chercher de l’air, des paysages,
Des couchers de soleil empourprant les feuillages,
Dans les feuilles, le jour vacillant, pailleté,
Le brouillard du matin, d’un bleu vague teinté,
S’élevant lentement à travers la feuillée,
Les senteurs de la terre et de l’herbe mouillée,
Les bruits et les chansons qu’éveille le beau temps
Et toute la nature, en travail, au printemps !…
Juin 1855.
*
LANTARA garde encor ses troupeaux et dessine…

Les Gorges d’Apremont, Sentier Denecourt n°6.
L’origine du nom d’Apremont est « âpres monts » en référence à la sécheresse des lieux. En 1720, M. de Faluère, grand maître des Eaux et Forêts, écrit : « Plantée irrégulièrement, il s’y trouve de grands espaces vides, beaucoup de monts et de rochers, de vallons et de déserts, remplis de bruyères, genêts, genièvres, épines et autre mauvaise nature de bois ».
En savoir plus : http://www.fontainebleau-photo.fr/2012/09/les-gorges-dapremont.html?fbclid=IwAR0wCgb2AvNhpIG0e4NKwvcsG_OKGU-7Az_EebXH9G8z-2h-IgQJhl2tR9E
Fernand-Félix-Emile-Arthur Desnoyers, né le 10 septembre 1826 à Paris et mort le 5 novembre 1869 à Paris) (15e), est un homme de lettres et critique français.
Il est le frère du journaliste et auteur dramatique Edmond de Biéville (1814-1880).
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fernand_Desnoyers
Voir aussi :