
Neuchâtel, musée d’Art et d’Histoire, Legs Yvan et Hélène Amez-Droz
©Musée d’Art et d’Histoire de Neuchâtel / DR
Dès la fin du XVIIIe siècle les artistes se rendent en forêt de Fontainebleau pour y réaliser leurs premières études « d’après nature ». A mesure que la peinture de plein air de développe, les peintres de Barbizon, puis les impressionnistes, investissent ce lieu pour « aller au motif », et en font le site le plus fréquenté par le monde de l’Art durant tout le XIXe siècle. Ce succès donne naissance à des centaines d’œuvres qui, tout en représentant la forêt, illustrent les transformations de l’art du paysage.
Au-delà du simple rassemblement d’un ensemble d’œuvres signées des plus grands noms, de Corot à Picasso, cette exposition permet de s’interroger sur les raisons qui firent de la forêt de Fontainebleau un pôle d’attraction pour les peintres et les photographes, mais aussi pour les écrivains et les poètes. Il s’agit donc de donner des éléments de réflexion sur les liens qui, tout au long du XIXe siècle, unissent en profondeur ce site très particulier aux artistes, qui se nourrissent de « l’esprit du lieu », et qui en modifient l’image. En effet, les peintres, après avoir « absorbé » la forêt romantique des hommes de lettres, contribuent à réinventer le site, en prélude à sa reconnaissance officielle comme « Réserves artistiques » lorsque, en 1874, la forêt de Fontainebleau devient le premier site naturel classé au monde.
La forêt de Fontainebleau tient une place essentielle dans l’histoire de l’art du XIX siècle. A la fin du XVIIIe siècle, on pouvait déjà y rencontrer Bruandet, pionnier de la peinture « d’après nature ». Quelques années plus tard, il est imité en ce même lieu par Bidauld, Aligny, Desgoffe, Brascassat, et surtout Corot de retour de Rome ou sur le chemin de l’Italie.

En 1853, Théodore Rousseau s’installe à Barbizon et s’enfouit littéralement dans cette forêt où il avait fait ses premières études dès 1829. Il y dessine, ébauche, peint, « fouille le visible », entraînant à sa suite Diaz, Troyon, Dupré, Charles Jacque, Millet…toute une génération qui allait transformer radicalement l’art du paysage. Ils y traquaient le motif : arbres, rochers, sables et paludes, choisis dans un répertoire relativement circonscrit de sites, ceux que le tourisme naissant identifiait alors, classait, étoilait.

Ils furent bientôt rejoints par les pionniers de la photographie, Le Gray, Cuvelier, Balagny, en quête d’un studio en plein air.
Aux alentours de 1860, Charles Gleyre y envoya ses élèves faire leurs premières gammes : Renoir, Sisley, Bazille, accompagné de Monet, qui y élaborait ce qui allait devenir le manifeste de la vie moderne, Le déjeuner sur l’herbe. Les artistes étrangers en faisaient une étape obligée de leur tour de France ou d’Europe ; bref, la forêt de Fontainebleau, découverte par les écrivains romantiques dans les années 1820, était à la mode et, pour les peintres, elle constituait un magnifique atelier grandeur nature, que fréquenteraient encore Redon, Seurat, Derain, et même Picasso en 1921.

Mais pourquoi tant de popularité, et sur une si longue durée ? La réponse à cette question peut se résumer en une phrase. La forêt de Fontainebleau résume toutes les forêts, « les forêts du rêve et de la vie. Toutes ». Grâce à la variété de ses paysages, on passe en quelques pas d’une sombre futaie à la clarté aveuglante des sables, des gorges et des roches inquiétantes au spectacle paisible d’une mare argentée.
Rien d’étonnant, donc, qu’elle ait nourri l’imagination de tant d’artistes, pour qui elle fut la Gaule, l’Alsace, la Bohême ou encore la Judée ou la Pampa. Ce « résumé de tous les sites possibles » devait permettre au cinématographe naissant, dont l’esthétique participe largement de celle de la peinture d’histoire, d’y filmer aussi bien la Vie et Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ (Alice Guy, 1906) que Quatre-Vingt-Treize (Albert Capellani et André Antoine, 1920).
Cette exposition montre un choix significatif de peintures, dessins, photographies et films réalisés ou inspirés par cette forêt qui rayonne à travers tout l’art du XIXe siècle.
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