
(1881 – 1882)
SONNET D’INAUGURATION
AU PUBLIC
Théâtre de Valvins
Un théâtre populaire
Valvins puis Samois vont bientôt être le berceau d’un théâtre saisonnier, qui aura pour spectateurs et figurants des villageois, grâce à l’impulsion que vont lui donner les cousins, Mallarmé et Margueritte, aidés de leurs amis. Deux expériences menées à treize ans d’expériences vont animer l’été samoisien. Ce théâtre trouve son origine dans l’expérience singulière à Bussang du Théâtre du Peuple, précurseur de nos théâtres populaires.
Mais laissons la parole au neveu de Mallarmé, Victor Margueritte :
Avant de quitter ces lieux où ma jeunesse s’écoula et qui pour moi demeurent enveloppés d’un voile noir depuis le jour où j’accompagnai la chère dépouille au petit cimetière de Samoreau, donnons un souvenir encore au temps lointain où Mallarmé, jeune (il n’avait pas alors 40 ans, et j’en avais 15) fut le metteur en scène du petit théâtre que mon frère et moi nous avions installé dans l’ancien atelier d’Alphonse de Neuville, au-dessus d’une grange bourrée de foin et de paille.
Nous y jouions du Hugo, du Banville, du Théophile Gautier, des pantomimes, de vieux fabliaux. Les paysans d’alentour, portant leurs lanternes et leurs chaises, formaient le plus cordial public, riaient ou pleuraient aux bons endroits, malgré l’étrange méli-mélo des décors sommaires et de nos costumes passe-partout. J’ai conté ailleurs cette folle aventure et Paul Margueritte l’a, de son côté, évoquée dans Nos Tréteaux.
Geneviève Mallarmé, tour à tour Colombine, Dona Sol, Nérine ou reine de Ruy Blas était l’étoile de notre petite troupe et son père, le magicien dont la voix, à travers celle de sa fille, préludait aux représentations. C’est pour notre théâtre de Valvins que furent écrits les triolets recueillis en 1920 dans « vers de circonstance » ainsi que le beau sonnet dont j’aime à me répéter l’exorde :
Par un soir tout couleur de topaze et d’orange
Leurs espoirs reflétés dans ce riche tableau
De gais comédiens suivant le fil de l’eau
Ont débarqué la joie au seuil de votre grange
Aucun toit si grossier ne leur parait étrange
Ils le peuvent changer vite en Eldorado
Pour peu qu’au pli naïf qui tombe du rideau
La rampe tout en feu même l’or d’une frange.
Ainsi le doux concert qui cessa quand je vins,
N’était pas, croyez-m’en O peuple de Valvins
Le désespoir d’un veau pleurant hors de la salle
Mais, avec ses cinq doigts, par la gamme obéis,
La chanson que du creux d’un violon exhale
Une jeune homme de bien natif de ces pays.
Stéphane Mallarmé
Voir les Souvenirs sur Stéphane Mallarmé
par Victor Margueritte
http://www.apophtegme.com/ARTS/margueritte-mallarme.htm


Remerciements :
Merci à Anne Borrel pour les documents qu’elle m’a transmis, à savoir : le printemps tourmenté de Paul Margueritte, et Nos Tréteaux, charades de Victor Margueritte, pantomimes de Paul Margueritte, et dont la lecture me permettra d’apporter peu à peu de nombreux éléments à cet article.
Voir aussi :