Le Festin de l’araignée

Le Festin de l’araignée opus 17 est un ballet-pantomime d’Albert Roussel, sur un argument de Gilbert de Voisins et une chorégraphie de Léo Staats.

Commandé par le Théâtre des Arts en 1912, il s’inspire des Souvenirs entomologiques de Jean-Henri Fabre. Plutôt symboliste (Maurice Maeterlinck s’était aussi passionné pour la vie des insectes), le ballet se concentre sur l’arrivée des insectes servant de repas à la fameuse araignée. Il est créé le 3 avril 1913 à Paris.

C’est l’une des œuvres les plus jouées de Roussel. Les fragments symphoniques tirés du ballet durent une quinzaine de minutes.

Fragments symphoniques

Prélude, un jardin….
  1. Prélude
  2. Entrée des fourmis
  3. Danse du papillon
  4. Éclosion de l’éphémère
  5. Danse de l’éphémère
  6. Funérailles de l’éphémère
  7. La nuit tombe sur le jardin solitaire

L’action de Jacques Rouché sur l’évolution de l’art scénique en France fut capitale. De 1910 à 1913, en pleine apogée des Ballets Russes, il proposa au public parisien de son Théâtre des Arts du boulevard des Batignolles une série de spectacles — Ma Mère L’Oye de Ravel fut l’un d’eux — mettant à profit les enseignements d’un voyage de documentation à travers l’Europe sur la mise en scène théâtrale moderne.

En septembre 1912, il décida de demander à Roussel, que son triptyque symphonique Évocations, créé le 18 mai, imposait désormais comme une valeur incontournable, un ballet sur un livret du petit-fils de la Taglioni, le comte Gilbert de Voisins, établi d’après les Souvenirs Entomologiques que Joseph Henri Favre publia en dix volumes de 1879 à 1907. Roussel s’était déjà récusé pour un autre ballet. Il hésita. C’est finalement devant l’insistance de son épouse qu’il se résolut à « laisser sommeiller dans un tiroir » la partition du Roi Tobol, opéra qu’il venait d’entreprendre en août à Belle-Ile.

Peu après la réception du livret le 27 novembre, le compositeur esquissa à Bois-le-Roi « le thème du jardin… que la flûte (dit) si timidement par dessus le murmure des violons ». Il collabora aussi à l’élaboration du scénario. Le point final de son « petit ballet de l’araignée », en fait sa première commande, fut posé le 2 février 1913 à Paris.

Couplé pour l’occasion au Pygmalion de Rameau et à Mesdames de la Halle d’Offenbach, Le Festin de l’araignée op. 17 vit le jour le 3 avril (quelques semaines avant Jeux et Le Sacre du Printemps!) dans une chorégraphie de Léo Staats, des décors et costumes de Maxime Dethomas et sous la baguette de Gabriel Grovlez. Sans bénéficier de l’aura prestigieuse des Ballets de Diaghilev, le succès fut immédiat. L’auteur, pessimiste, n’escomptait dépasser les huit représentations prévues. Il y en eut vingt-deux. Afin de sauver son œuvre, il en avait tiré des Fragments Symphoniques qui sont à l’origine de sa renommée mondiale.

Les dimensions du théâtre ne permettaient guère à la formation instrumentale d’excéder les trente-deux musiciens mais cette contrainte se révéla facteur de créativité: l’orchestration exploite subtilement tous les registres et caractérise chacun des protagonistes par l’utilisation idoine des timbres. L’invention se renouvelle à chaque page. Ici sont en germe les Poèmes de Ronsard, l’entrée des Bousiers annonce le Silène de La Naissance de la Lyre, celle des Fourmis poursuit le développement de la motorik roussélienne précédemment apparue dans le Divertissement op. 6. Ce ballet-pantomime, quasi improvisation qui contraste avec la partition longuement mûrie des Évocations, appartient aux œuvres inspirées de sa période naturiste avec les Rustiques, Pour une fête de printemps et le Poème de la Forêt.

Autant qu’à l’impressionnisme de L’après-midi d’un faune (1892), le Festin relève du tact émerveillé et respectueux de l’esthétique ravelienne, mâtiné de la toute scholiste solidité de conception de L’après-midi sous les Pins (1905) du maître Vincent d’Indy. Arthur Hoérée écrivit très justement: « Qui dira la grandeur des petites choses? Tant de finesse de sensibilité, de poésie aux réseaux de cette dentelle sonore, une écriture aussi parfaite au service d’un orchestre sans défaut, équilibré par un virtuose, n’est-ce pas la marque d’un authentique chef-d’œuvre? »

Le terrible bouleversement des années 1914-1918 affecta Roussel au plus profond de sa sensibilité: « Il va falloir recommencer à vivre, sur une nouvelle conception de la vie, ce qui ne veut pas dire que tout ce qui a été fait avant la guerre sera oublié, mais que tout ce qui se fera après devra l’être autrement. » Ainsi son écriture s’épura-t-elle progressivement. Le principe tripartite avec mouvement lent central est désormais acquis, comme dans la Suite en Fa, la Petite Suite et la musique de chambre. Tandis que sa vision du spectacle lyrique et chorégraphique participe toujours du souffle grandiose et élévateur qui relie Padmâvatî au Téméraire, La Naissance de la Lyre à Aeneas, ses recherches orchestrales pures le conduisent à faire sonner le géant symphonique avec le raffinement mobile d’une formation de chambre ou, au contraire, à extraire le maximum d’effets de timbres d’un orchestre à cordes, le tout dans un détonnant mélange d’épicurisme et de stoïcisme. Griffe alchimique d’un maître-sorcier, ô combien personnelle!, que l’on se surprend à retrouver dans… les Danses Concertantes de Stravinski en 1941.

On néglige encore l’essentielle originalité du Concert op. 34 pour petit orchestre, dont la génèse (Paris, octobre 1926 – 12 février 1927) succéda à l’écriture de la Suite en Fa et de la popularité de laquelle il a malheureusement pâti. Roussel transpose avec panache l’esprit du concerto grosso. Comme dans la Sinfonietta, il renoue avec la forme du XVIIIe siècle et son orchestre se réduit curieusement aux dimensions de celui de son premier ballet.

Chaque instrument est utilisé plus pour son timbre que pour ses possibilités techniques, ce qui permet l’emploi intensif d’un contrepoint d’une surprenante clarté. L’humour délicat du Festin se mue ici en une insolence désinvolte: le Presto annonce l’esprit caf’conc’ du Testament de la Tante Caroline ou la truculente Rapsodie Flamande avec laquelle il partage cette conclusion pianissimo. Les trois mouvements oscillent autour d’une tonalité centrale affirmée et l’usage débridé de la polytonalité nous rappelle que Roussel, avec Koechlin et Milhaud, en fut l’un des pionniers. (Création à Paris, salle Gaveau, au concert Straram du 5 mai 1927).

Nombre d’adagios rousséliens — prélude de la Suite en fa dièse, Concerto pour piano ou Concertino pour violoncelle — sont en contact direct avec la mort. Une explosion de vitalité reconquise succède toujours à leur douloureuse brièveté. C’est le cas de la Sinfonietta (Va-rengeville 12 juin – 6 août 1934). En 1934, après une grave pneumonie, Roussel fut repris d’une intense fièvre créatrice. « J’ai commencé il y a une douzaine de jours un andante et allegro pour orchestre à cordes », écrivit-il le 4 juillet. L’idée lui vint ensuite d’équilibrer l’œuvre par l’adjonction d’un allegro molto initial. L’exercice d’ascèse est ici poussé au plus loin: un condensé de symphonie qui n’use pratiquement pas du contrepoint, à l’inverse du Quatuor op. 45 ou de la Troisième symphonie.

Il semble que le malicieux compositeur nous jette un clin d’œil à chaque mesure, intégrant des styles d’écriture et de développement issus de Beethoven, de Brahms ou de Franck (le principe cyclique y apparaît, un dessin du court Andante de 37 mesures servant de thème à l’Allegro). Voici la meilleure tradition symphonique enchâssée dans une forme miniature par un chambriste à l’écriture virtuose. Le public parisien de la salle Gaveau, lors de la création, le 19 novembre 1934 par l’orchestre féminin de Jane Evrard, fut si enthousiaste que l’œuvre tout entière dut être bissée! « Par l’équilibre, l’adresse et l’efficacité de son écri-ture, il réussit à tirer des cordes une telle plénitude et une telle puissance que l’on ne se surprend jamais à regretter ce dont il s’est privé » (Robert Bernard).

Quatre jours seulement après avoir achevé la Sinfonietta, Roussel esquissait sur trois et quatre portées, comme à son habitude, un lied tripartite qui deviendra le poignant Lento molto de sa Quatrième symphonie op. 53 en la majeur (du 10 au 30 août). Il poursuivit avec le Scherzo (achevé en cinq jours) puis passa au premier mouvement (6 au 21 septembre) et termina par le finale de cette forme pré-orchestrale le 26 septembre.

Le scherzo, dont la continuité rythmique est basée sur la plus subtile équivoque entre le binaire et le ternaire, fut bissé sur le champ par Albert Wolff lors de la première à l’Opéra-Comique le 19 octobre 1935. Après la rigueur contrôlée de l’opus 42, Roussel semble vouloir s’amuser sur le chemin des écoliers: réduisant le procédé franckiste à l’extrême, il joue avec plus de liberté et extrait la forme de sa propre démarche scripturale. Son langage polymodal et polytonal s’affine encore s’il se peut; l’ingéniosité de son invention rythmique étaye un contrepoint serré et impose avec un impact époustouflant une palette sans cesse renouvelée. Roussel paraît ainsi, au soir de son existence, dialoguer avec lui-même « dans la contemplation de ce qui le fascine » (Yvonne Gouverné). Et nous pouvons conclure par cette opinion d’Alexander Williams à la suite de l’audition bostonienne: « La quatrième symphonie est le glorieux couronnement de la remarquable carrière du compositeur. Elle illustre dans sa force maintes qualités dont peut s’enorgueillir l’école fran-çaise: clarté, esprit, grâce et logique. »

© Damien Top, Fondation Albert Roussel, Paris

Cristian Măcelaru dirige l’Orchestre national de France dans la suite extraite de l’oeuvre « Le Festin de l’araignée », composée par Albert Roussel en 1912. Extrait du concert donné le 22 avril 2021 à la Maison de la Radio.

Le 29 mai 1913, au Théâtre des Champs-Élysées, était créé Le Sacre du printemps, deux semaines après la première de Jeux de Debussy, dans le même théâtre. On a oublié cependant qu’un autre ballet venait de voir le jour, le 3 avril de la même année : un ballet signé Albert Roussel et intitulé Le Festin de l’araignée. Ballet-pantomime plutôt, sur un argument de Gilbert de Voisins. Traducteur et écrivain aujourd’hui oublié, ce dernier avait accompagné Victor Segalen en Chine ; ami de Pierre Louÿs (par ailleurs également très lié à Debussy), il fut longtemps membre du Club des longues moustaches, petit groupe littéraire qui se réunissait au Café Florian à Venise.

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