
- Présentation
- Lantara, précurseur de l’école de Barbizon
- Un quatrain de Diderot
- Lantara ou le peintre au cabaret
- Prix Lantara
- LANTARA garde encor ses troupeaux et dessine…
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- Voir aussi
Présentation
Simon-Mathurin Lantara, sur qui l’histoire ignorante ne nous a laissé que peu de documents, naquit, dit-on, en 1745, à Fontainebleau probablement ; je dis probablement, car certains biographes le font naître aussi bien à Montargis. Quoi qu’il en soit, sa véritable patrie est bien la forêt de Fontainebleau, et c’est à ce titre que sa place est marquée dans notre volume. C’est en effet au milieu de cette végétation puissante, au milieu de ces splendeurs, de ces enchantements, de ces beautés toujours neuves, que Lantara vécut sa jeunesse solitaire et contemplative. Son souvenir y est désormais éternellement lié. Dormir sur les mousses, errer à travers les bruyères roses et grises ; écouter la source qui chante au lointain ; poursuivre, par les mêmes sentiers embaumés, l’idéal insaisissable et le coucou, oiseau moqueur qui vous appelle de tous les côtés à la fois ; admirer chaque soir, le cœur ému, les yeux humides, à l’heure ou la rosée commence à perler sur les herbes, les chaudes perspectives du soleil couchant ; se promener, par les belles nuits d’été, dans l’ombre mystérieuse des grands bois ; boire par tout son être la large harmonie du silence et rêver au clair de la lune dans une atmosphère trempée de parfums : telle fut la première moitié de sa vie. C’est à cette existence buissonnière que Lantara puisa ce sentiment du vrai, quoique idéalisé, qui anime ses compositions : lointains vaporeux rayés de lumière, ciels rêveurs, couchants de soleil tout empourprés, granits ternes et grisâtres ; car Lantara a saisi la forêt dans tous ses aspects, sous toutes ses formes, rochers arides, terrains brûlés, frais paysages et majestueux horizons.
C’est par là encore qu’il se rapproche du grand Claude Lorrain. Moins élevé, moins épique, il saisit, il touche davantage ; ses paysages familiers vous émeuvent. On admire Claude, on aime Lantara. C’est que Lantara fut peintre comme Hégésippe Moreau fut poète, c’est-à-dire d’instinct, ou plutôt il fut peintre et poète tout à la fois.
Son père était un mauvais peintre d’enseignes qui lui donna les premières notions du dessin ; mais la science, ou plutôt l’ignorance du bonhomme n’aurait pas mené loin le fils, s’il n’eût porté en lui-même l’amour inné de l’art. C’est de Lantara qu’on peut dire, et véritablement cette fois, qu’il fut l’élève de la nature. Ce qui frappe avant tout dans son œuvre, ce qui en fait la grandeur et la beauté, c’est l’impression. Sa peinture est de celles qui persuadent. Jamais, en effet, Lantara ne fit poser la nature devant lui. Avant de la traduire avec les yeux du peintre, il en jouissait avec l’âme du poëte. La plupart des paysagistes de l’école moderne, en quête de la réalité, ne l’ont cependant pas comprise. Trop scrupuleux amants de la vérité, s’ils ont trouvé un motif, ils le copient religieusement : tout est à son plan, tout est exact ; les groupes sont fidèlement massés, les nervures des arbres minutieusement dessinées, l’anatomie est parfaite, et cependant c’est un cadavre ! il y manque la vie, ce je ne sais quoi d’ému et de sympathique qui fait qu’on voit l’âme de l’artiste à travers l’œuvre ; et cela tient précisément au servilisme du procédé.
Lantara peignait de mémoire. Il allait à travers la campagne, il s’en emplissait le cœur et les yeux, pleurant d’admiration devant les grands spectacles de la nature ; puis, un jour, n’importe quand, n’importe où, en plein ciel, dans son galetas, à l’étable, sous l’impression du souvenir, il reproduisait de verve, d’abondance, les effets qui l’avaient touché ; tranquilles clairs de lune, levers de soleil radieux, fraîches aubes. Il ne prenait la palette que lorsque la poésie, longtemps contenue, débordait d’elle-même. Alors il s’y laissait aller, sûr que son sentiment ne le tromperait pas, car il savait par cœur. Jamais l’expression ne fut plus juste, toutes les teintes et les demi-teintes du matin, du jour et du soir, toutes les gradations et les dégradations de la lumière ; la nature était son amoureuse, il la voyait les yeux fermés.
Il existe une légende, d’après laquelle Lantara, au temps de son enfance, aurait gardé des chèvres dans la forêt Chèvres ou vaches, peu importe. M. Denecourt vous fera voir dans ses domaines, un recoin charmant, qui s’est appelé toujours la Dormoir de Lantara.
Il y a, du reste, dans ce fait de Lantara chevrier, quelque chose de simple et de touchant qui plaît à l’esprit. On aime à se représenter le pâtre de génie s’écoutant lui-même dans la grande solitude. Cette légende n’a donc rien qui dépare la figure rêveuse de Lantara, car Lantara fût un rêveur avant Jean-Jacques, ce qui prouve que Jean-Jacques n’a pas inventé la rêverie, comme on l’a sottement prétendu.
C’est sans doute pressé par cette vague inquiétude de l’esprit que Lantara vint à Paris, tout jeune encore, au beau milieu du règne de Louis XV, inconnu de tous et sans autre ressource que son talent. Malheureusement Lantara était paresseux, si l’on doit donner le nom de paresse à cette soif constante d’idéal qui le dévorait. Nous l’avons déjà dit, Lantara travaillait peu, il regardait. Lorsque, poussé par la faim, il était enfin contraint de secouer sa paresse si chère, il peignait où il se trouvait, ce qu’on lui demandait, pour n’importe quoi. C’est ainsi, dit Alexandre Lenoir qui l’a connu personnellement, « qu’il faisait volontiers un paysage pour un gâteau d’amandes, une tourte ou tout autre pâtisserie. Le limonadier Dalbot, placé près du Louvre, a obtenu une belle suite de dessins de Lantara, avec les bavaroises et le café à la crème qu’il lui donnait à ses déjeuners. » Il lui arriva souvent, dans des circonstances pressantes, de peindre des enseignes de cabaret pour acquitter la note de ses repas. De là lui est venue sa réputation d’ivrogne, aujourd’hui proverbiale, et que le vaudeville n’a pas peu contribué à lui faire. Chose triste à dire, Lantara ne fut longtemps connu que par un vaudeville joué en 1809, de Picard, Barré, Radet et Desfontaines, intitulé Lantara ou le peintre au cabaret. La pièce avait obtenu un grand succès et les airs en étaient devenus populaires. On peut voir dans tous les vieux vaudevilles des couplets avec cette rubrique : Air de Lantara. Cela suffit, et désormais, pour longtemps encore peut-être, Lantara fut et ne sera qu’un ivrogne, quoique rien ne vienne confirmer l’assertion des quatre vaudevillistes. Alexandre Lenoir dit en propres termes : » Il aimait mieux une bavaroise au chocolat ou au lait qu’une bouteille de vin. » Un autre de ses biographes va plus loin encore : « Ses goûts, dit-il, étaient simples comme ceux de l’enfance, c’était un la Fontaine dans son genre ; dès longtemps devenu faible, délicat et mélancolique, les petits gâteaux et quelques gouttes de café pouvaient seuls stimuler son appétit, et ce fut en quoi consista toujours sa principale nourriture. » Après cela, que Lantara ait aimé le vin, je n’y vois pas grand mal, bien au contraire ; il me semble même qu’un artiste comme lui, amoureux du beau et par suite du bon, deux termes identiques, devait être homme à savoir l’apprécier. D’ailleurs les rigoristes ont oublié que le cabaret était de mode dans son temps. Au dix-septième siècle les plus fins esprits le fréquentent et s’y donnent rendez-vous ; au dix-huitième la coutume est loin d’en être passée. Le vice imaginaire de Lantara a servi de prétexte à une foule de déclamations et de tirades plus ou moins morales. On a dit de lui, comme d’Hégésippe plus récemment, que l’ivrognerie l’avait réduit à la misère et conduità l’hôpital. La médiocrité seule a trouvé son compte à propager celte calomnie. Lantara était une organisation primitive, simple et bonne, pleine de naïveté, qui prit de la vie le côté contemplatif, et en supporta vaillamment les aspérités. Mais le vulgus ne comprendra jamais les intraduisibles voluptés que l’art prodigue à ceux qui font vœu d’être siens. Lantara, en arrivant à Paris, était venu se loger dans un misérable galetas, situé rue du Chantre. Il avait tellement puisé, dans sa liaison familière avec la forêt de Fontainebleau des habitudes de liberté, que dans le reste de sa vie il lui fut impossible de s’asservir à toute espèce de contrainte. Son talent avait été entrevu et deviné par quelques rares personnes, sa vie excentrique les avait étonnées. Un grand seigneur, M. du Caylus, résolut de le tirer de la misère. Lantara se laissa faire naïvement. Bien logé, bien nourri, bien vêtu, il fut mis à même de se livrer au travail sans souci des préoccupations matérielles. Il ne put supporter ce bien-être inaccoutumé. Ses habitudes de bohème, mot qui n’était pas encore usité dans le sens que nous lui donnons aujourd’hui, reprirent le dessus ; il dit adieu au grand seigneur et revint dans son grenier de la rue du Chantre reprendre sa douce paresse et sa liberté, vivant au jour le jour, attendant son pain quotidien du Dieu qui nourrit les petits des oiseaux.
Placé volontairement en dehors de la vie officielle, il réussissait rarement à vivre de son travail. Outre sa paresse invétérée, sa grande naïveté y contribuait singulièrement, naïveté pleine de bonhomie, mais qui n’était pas exempte, cependant, d’une certaine dose de malice. Nous rapportons l’anecdote suivante, quoique bien connue, parce qu’elle met en relief un côté saillant de son caractère.
Un amateur lui avait commandé un tableau dans lequel devait se trouver une église. Lantara, qui ne savait pas dessiner les personnages, se garda bien d’en mettre un seul. L’amateur fut charmé de la fraîcheur et de la vérité du paysage, mais il se plaignit de l’absence de figures.
— Monsieur, lui répondit naïvement Lantara, elles sont à la messe.
— Eh bien ! reprit l’amateur, j’achèterai le tableau quand elles en seront sorties.
Lantara se remit à l’œuvre : ne sachant comment esquiver la difficulté, il imagina de camper au fond du tableau, sur la lisière d’un bois, un villageois vu de dos, s’efforçant, dans une posture toute rabelaisienne. Ce n’était pas précisément une figure.
— Voyez, dit Lantara à son homme, toutes les personnes sont sorties de la messe et sont retournées aux champs ; la preuve, c’est que voici encore là-bas un retardataire.
L’amateur sourit et paya.
Si cette anecdote n’est pas vraie, elle constate du moins un fait authentique. Lantara ne faisait jamais ses figures. Dans les tableaux où il s’en trouve, elles sont dues à l’obligeance de quelques camarades, soit Demarne, soit Taunay. On assure même que Joseph Vernet fut heureux de lui prêter le concours de son talent.
Malheureusement les amateurs étaient rares. Lantara manquait souvent du strict nécessaire. Atteint depuis longtemps d’une maladie de langueur, il fut contraint d’entrer à la Charité, qu’il connaissait déjà, hélas ! Mais ce fut la dernière visite qu’il y rendit. Entré à midi le 22 décembre 1778, à six heures il était mort.
Sa mort passa inaperçue comme sa vie. A peine était-il connu de quelques artistes. Diderot, son contemporain, ignorait jusqu’à son nom. On est presque tenté d’en vouloir à l’auteur des lettres sur le Salon, mais on lui pardonne bien vite cet oubli involontaire, quand on songe que Lantara, retiré dans ses rêveries, n’essaya jamais d’attirer le bruit sur son nom, et n’exposa rien publiquement. De plus il avait peu produit. A peine est-il resté de lui une vingtaine de toiles authentiques, qui, complètement dédaignées, se vendaient encore, il y a peu d’années, à des prix fabuleux de modicité. Le Louvre ne possède de ce maître qu’un seul tableau ; il représente un soleil couchant plein d’harmonie et de lumière. Il excellait aussi à rendre les effets de lune. Il a encore laissé un assez grand nombre de dessins sur papier bleu, avec des rehauts de crayon blanc, qui sont dispersés de ci, de là. La postérité tardive commence à rendre à Lantara la justice qui lui est due. Dans ces dernières années l’opinion s’est émue, les connaisseurs se sont mis à rechercher ses ouvrages. Mais Lantara, dont beaucoup de gens parlent et que peu connaissent, est encore plus célèbre par son ivrognerie supposée que par son talent, tant il est difficile chez un peuple routinier comme le nôtre d’extirper un préjugé. Cependant les tableaux que Lantara donnait au limonadier Dalbot pour une bavaroise au chocolat, se vendent aujourd’hui douze cents et même quinze cents francs. La justice est boiteuse, dit Homère, elle vient à pas lents, mais elle vient. Il n’y a que les morts qui vont vite.
AMÉDÉE ROLLAND.

Les informations répertoriées sur Simon Lantara et son œuvre sont à la fois rares et fantaisistes. Peintre de paysages de la région parisienne, il n’accède ni à l’Académie ni aux Salons bien qu’une partie de sa vie se déroule à Paris où il accomplit une carrière modeste. Après sa mort et tout au long du XIXe siècle, sa réputation d’artiste bohème fait pourtant de lui le héros posthume de plusieurs pièces de théâtre ainsi que le personnage d’un roman populaire et d’un feuilleton. La naissance du paysage peint « d’après nature » lui est longtemps attribuée au regard de sa pratique dans la forêt de Fontainebleau et de sa capacité à en restituer l’atmosphère. À l’âge de 23 ans, Lantara peint cette étonnante marine, signée et datée de 1752. Le tableau illustre les premiers mots de la Genèse : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or la terre était vague et vide, les ténèbres couvraient l’abîme, l’esprit de Dieu planait sur les eaux ». Dans sa partie supérieure, au centre d’un triangle équilatéral lumineux symbolisant la manifestation de Dieu, le mot « YHVH » (Jehovah) est tracé en hébreu. Avec cette inscription, l’œuvre quitte le statut de paysage marin pour celui de peinture religieuse voire de composition symboliste. La toile est partagée en deux moitiés inégales, dans une partition où l’espace réservé au ciel est largement supérieur à celui représentant les eaux. Centrée entre deux nuages dont l’un évoque fortement une silhouette d’ange vaporeux, la lumière ambrée diffuse ses rayons obliques en direction de la masse sombre des vagues et en illumine les crêtes. La qualité de ces effets et la belle perspective atmosphérique du tableau évoquent l’art de Claude Lorrain. Cette observation du réel qui rapproche Lantara du maître des soleils couchants s’accompagne cependant d’une vision métaphysique toute personnelle de l’artiste.
https://www.museedegrenoble.fr/oeuvre/1652/1922-l-esprit-de-dieu-planant-sur-les-eaux.htm
Lantara, précurseur de l’école de Barbizon

Un quatrain de Diderot

Denis Diderot écrivit dans sa correspondance le quatrain suivant qui semble assez bien résumer la vie de l’artiste : « Vers pour être mis au bas du portrait du pauvre Lantara peintre plein de talents, et mort dans la misère ».
Je suis le peintre Lantara
La Foi m’a tenu lieu de livre
L’Espérance me faisait vivre
Et la Charité m’enterra.

Lantara ou le peintre au cabaret
Prix Lantara
En 2001, un prix Lantara est créé par le parc naturel régional du Gâtinais français. Les artistes récompensés doivent exercer sur le territoire du parc et leur œuvre avoir un lien avec ses patrimoines (naturels, culturels…).
LANTARA garde encor ses troupeaux et dessine…
