Claude-François Denecourt, le sylvain de la forêt de Fontainebleau

Portrait de Denecourt, lithographie par Hermann Raunheim, 1858.

Claude-François Denecourt, le sylvain de la forêt de Fontainebleau


Quand les beaux jours d’été nous invitent à quitter
Le déchant prosaïque des absences poétiques,
S’ébauchent les sentiers sous d’antiques portiques
Qui accueillent l’exilé fuyant la société.

Il cherche l’ombre épaisse adombrant la rêverie,
Aux chaleurs trop lourdes de l’après-midi boisé,
Et attend le détour subtilement imposé
Par celle qui dispense la douce féérie.

Tout à coup, le grand arbre lui dit en secret :
« C’est moi, je t’attendais, toi le rêveur unique
Dont la voix solitaire à la haute harmonique
peut seule parvenir au cœur de la forêt. »

L’arbre, l’homme, la forêt _ parfaite métaphore_
Blasonnèrent alors leur esprit fleuronné
Au creux de l’écorce de l’arbre couronné
Qui donne au Grand Rêve la puissance d’éclore.

Et vinrent les mirages, les songes effrayants
Qui jaillissent, grimaçants, de la demeure des spectres,
La trouble mémoire des promeneurs champêtres
Que seul apaise le chant des elfes bienveillants.

Le paletot couleur bois, le pantalon noisette,
Apparût le vieil homme, le visage hâlé par l’air,
L’œil riant des clairières où s’ébat le grand cerf
Et s’élève le cri flûté de la fauvette.

De la sublime forêt le plus ardent amant,
Ne serait-ce pas Sylvain, l’inspirateur sylvestre
Du concours poétique en un si bel orchestre
Des plus grands écrivains portés au firmament?

Ô ! les deux crépuscules du grand Charles Baudelaire,
Et le soleil couchant qu’a rêvé Moncelet….
Et les souvenirs de la plume de Musset…
Le grand art du poème, du chant épistolaire !

Claude-François Denecourt, reconnu au plus haut,
Fut enfin honoré pour son si bel ouvrage
Et reçut le surnom, en plus parfait hommage,
De Sylvain de la forêt de Fontainebleau !

Une brise délicieuse caressa ses paupières
Qui, d’une si longue absence, s’ouvrirent d’étonnement
A la subtile quintessence exhalée puissamment
Des âmes habitées de présences forestières.

Oui, il aime tellement cette exquise forêt
Que s’il y renonçait il n’en pourrait survivre.
Aussi l’homme, qui le sait, retourne son sourire
Au Sylvain Denecourt, Maître du Grand Secret.

Michaël Vinson

En 1855, des auteurs parmi les plus grands de ce siècle se regroupent pour publier un hommage à Denecourt. C’est ce petit homme qui, par sa persévérance et sa passion, a ouvert au plus grand nombre la forêt de Fontainebleau. C’est sur les traces de Denecourt mais aussi de George Sand, Alfred de Musset, Gérard de Nerval, et de trente-neuf autres poètes, que nous vous invitons à partir sur les sentiers de la forêt de Fontainebleau.

[…] Je m’en allais rêvant ainsi, tout en foulant un des innombrables sentiers tracés à travers la forêt de Fontainebleau par un de ces hommes de bien qu’aucun obstacle ne décourage. J’applaudissais à son œuvre chemin faisant ; sans lui, aurais-je pu explorer les crêtes rocheuses d’où je redescendais vers le parc? Sans lui, n’aurais-je point craint à chaque pas de m’égarer dans un nid de vipères ? Les broussailles m’avaient livré passage comme par enchantement.

Extrait du Val Fleuri

***

Il vous en souvient, mon bon Denecourt, il y a un an environ, je vins vers ma mère et vers vous comme le malade aux médecins. Depuis quelques mois, vous disais-je, je ne peux plus rien, ma tête se refuse aux travaux sérieux : la chanson elle-même, la pauvre chanson, mon délassement habituel, trouve mon cerveau rebelle ; je ne sais plus aligner quatre vers ! La bonne mère m’embrassait, les larmes dans les. yeux ; je me sentais un peu soulagé, — doux baisers de ma mère ! — Puis, me prenant le bras et me montrant la forêt, vous me dites : — Ami, la guérison est là… — Et vous aviez raison ; n’est-ce pas la forêt, cher Denecourt, vieux citoyen aux cheveux blanchis par l’âge et les déceptions, vieux soldat blessé ! n’est-ce pas la forêt qui vous a gardé les jambes si vigoureuses et le cœur si chaud ? Et vous me conduisîtes sur les hauteurs du rocher Guérin ; de là j’admirai cette immensité, mouvante sous le vent comme la mer sous la tempête ; dans le lointain, d’un côté les blés, hauts déjà, de l’autre les pampres verdoyant au soleil, achevaient le tableau, l’un des plus radieux qui soient sortis de la palette de Dieu.

De cette promenade et de notre conversation naquit une chanson que j’intitulai audacieusement les Fils du Soleil, chanson qui est bien vôtre, et que je suis heureux de vous restituer dans ce livre, hommage rendu par des écrivains célèbres à la persévérante et courageuse tâche que vous vous êtes imposée. Hommage auquel je les remercie d’avoir bien voulu m’associer. moi, chétif : part que je dois, sans doute, à notre amitié et au nom de mon pays natal.

LES FILS DU SOLEIL.

I

Fils du Soleil et de la Terre,
De ces éternels amoureux,
Jean Blé-Mûr, Jean Raisin son frère,
Sous l’œil d’en haut croissent tous deux.
Pour les téter que de louanges !
Toute la nature en gaîté,
Dans les moissons et les vendanges,
Nous crie ; — Enfants, prospérité !

Celui dont viennent toutes choses
Sur nous étend sa large main :
Relevons donc nos fronts moroses,
Voici le vin et son frère le pain !

II

Des flancs de leur robuste mère
Tous deux à peine ils sont sortis,
Que dans le vent, sous le tonnerre,
Ils portent haut bourgeons, épis.
Jean Blé-Mûr a la tête blonde ;
Jean Raisin a le teint vermeil :
Ils s’en vont réjouir le monde,
Comme leur père le Soleil.

Celui dont viennent toutes choses
Sur nous étend sa large main :
Relevons donc nos fronts moroses,

Voici le vin et son frère le pain !

III

Pour Jean Blé-Mùr, pauvre, on se damne ;
Riche, on donnerait ses trésors.
Jean Blé-Mùr est la sainte manne
Qui nous prend faibles, nous rend forts.
Mais Jean Baisin, c’est l’espérance !
Quand sa séve monte au cerveau,

Un mirage endort la souffrance ;
Tout s’anime et nous semble beau !
Celui dont viennent toutes choses
Sur nous étend sa large main :
Relevons donc nos fronts moroses,
Voici le vin et son frère le pain !

IV

Allons, Travail, fais des miracles,
Et sur tous répands tes bienfaits,
Viens, renversant les grands obstacles,
Nous apporter la grande paix.
(Ju’il naisse enlin le jour prospère,
Où l’homme sera toujours sur
D’avoir Jean Raisin dans son verre
Et sur sa table Jean Blé-Mûr.
Celui dont viennent toutes choses
Sur nous étend sa large main :
Relevons donc nos fronts moroses,
Voici le vin et son frère le pain !

Charles Vincent

Extrait du Le chasseur de vipères

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