Quand Mallarmé retrouve le goût d’écrire en Bretagne

« Bientôt, la proximité de l’océan l’enivrant de sa sauvagerie, Mallarmé éprouve le besoin de se vouer à une plus franche solitude, écrit le critique littéraire Jean-Luc Steinmetz, dans un ouvrage consacré au poète. Sans craindre le plus complet dépaysement, il ose même adresser une demande officielle pour habiter, pendant un mois, le phare de la Pointe du Raz ! »

Un article du Télégramme

Stéphane Mallarmé passe l’été 1873 dans le Finistère. Ce séjour est pour l’écrivain parisien l’occasion de découvrir la Bretagne, mais aussi de se remettre à écrire de la poésie, après sept années de silence.

Été 1873. Stéphane Mallarmé est professeur d’anglais au lycée Condorcet à Paris, depuis un an. Le jeune homme de 31 ans a été chahuté par ses élèves pendant l’année scolaire. Pour lui, l’enseignement est un moyen de gagner sa vie, sa passion étant la poésie. Ce retour dans la capitale est une occasion de fréquenter le monde littéraire, où il côtoie des écrivains comme Rimbaud, ou encore Zola. En 1865, il a bien tenté de faire publier son poème « L’Après-midi d’un Faune », sans succès (il devra attendre 1876 pour que le texte soit publié, puis mis en musique par Claude Debussy). Cet échec le fait profondément douter et il ne touche plus la plume pendant plusieurs années.

Il est marié à une jeune Allemande depuis 1863, avec qui il a deux enfants. « Les époux ont décidé que, pendant les vacances de 1873, Marie Mallarmé irait, après onze ans d’absence et la guerre de 1870-71, revoir sa famille en Allemagne, emmenant avec elle, leurs enfants, Geneviève et Anatole, raconte Auguste-Pierre Ségalen, dans les Cahiers de l’Iroise, en 1975. Elle quitta Paris le 1er août, cependant que son mari se préparait à gagner Douarnenez… »

Un retour à la simplicité

Stéphane Mallarmé choisit cette destination sur les conseils de son ami, le poète José-Maria de Heredia, amoureux de ce territoire qu’il a découvert dix ans plus tôt, et où il revient chaque été, entouré d’amis artistes. Mallarmé y est très bien accueilli, mais il ne reste que quelques jours. En effet, s’il apprécie les paysages, l’écrivain est un peu déçu par la baie de Douarnenez, qu’il compare à un lac dans l’une des lettres qu’il adresse à sa femme.

« Bientôt, la proximité de l’océan l’enivrant de sa sauvagerie, Mallarmé éprouve le besoin de se vouer à une plus franche solitude, écrit le critique littéraire Jean-Luc Steinmetz, dans un ouvrage consacré au poète. Sans craindre le plus complet dépaysement, il ose même adresser une demande officielle pour habiter, pendant un mois, le phare de la Pointe du Raz ! » Bien entendu, il n’obtient pas l’autorisation et tente sa chance du côté du Conquet, « petit port que la carte présentait comme presque situé au bord de la mer. Il n’y est pas tout à fait », se désole, à l’époque, l’écrivain.

Le 20 août, Mallarmé trouve finalement son bonheur, au cours d’une balade avec Frédéric Plessis, un jeune poète local, qu’il a rencontré via son ami Heredia. Il découvre une maison déserte avec une vue imprenable sur l’océan, entre Le Conquet et la Pointe Saint-Mathieu. Le propriétaire lui propose de l’occuper gratuitement jusqu’à la fin de l’été. Enchanté, il va vivre dans des conditions spartiates. Seul luxe, il engage une vieille femme et sa fille pour le ménage et la préparation des repas. « L’amateur des arts décoratifs devient ici le solitaire qui trouve la distance favorable pour interroger plus à fond, le sens du monde et non plus le luxe des objets », précise Jean-Luc Steinmetz.

Une idylle contrariée

Mallarmé passe ses journées entre flâneries et longues balades le long de la côte, de jour comme de nuit. Il écrit : « L’océan est sublime et captivant : je vais avoir, un de ces jours, si le vent continue, le spectacle d’une grosse mer… » Le poète en profite également pour prendre des bains revigorants, chahuté par les vagues et s’amuse, de son propre aveu, comme un enfant. Le soir, il se réjouit de s’endormir avec, pour veilleuse, le phare de l’île d’Ouessant.

Mais son enthousiasme initial va s’atténuer au fil des jours, face à la météo capricieuse de cette fin d’été, comme en témoigne sa correspondance dans laquelle il raconte à sa femme que le vent l’empêche de dormir la nuit. Pendant plus d’une semaine, il ne peut pas mettre le nez dehors et désespère de son manque de productivité, d’autant plus que la solitude, tant recherchée, commence à lui peser. Au retour du beau temps, il tente de vaincre sa nonchalance et s’astreint à un programme cadré : travail de 10 h à midi, déjeuner, promenade, deuxième séance de travail entre 16 h et 18 h, souper à 19 h… Il tient ce rythme pendant une quinzaine de jours. Le 14 septembre, il participe au pardon du Conquet, mais le retour du mauvais temps, quelques jours plus tard, le décide à rentrer à Paris, en passant par Brest et Brignogan.

Malgré ses critiques sur certains lieux et sur le climat, Mallarmé ne reste pas insensible aux charmes de la Bretagne, prévoyant même un voyage en famille pour l’année suivante. Mais ce dernier n’aura jamais lieu, et le poète ne foulera plus jamais la terre d’Armorique.

Pour en savoir plus

« Stéphane Mallarmé, l’absolu au jour le jour » de Jean-Luc Steinmetz, éditions Fayard, 2014.

« Stéphane Mallarmé en Bretagne », de A-P Ségalen, article publié dans Les Cahiers de l’Iroise n°22-4, 1975.

L’influence de la mer dans son œuvre

Pendant son unique séjour en Bretagne, Stéphane Mallarmé a posé ses valises entre Le Conquet et la Pointe Saint-Mathieu (photo).

Si Stéphane Mallarmé semble marqué par son séjour finistérien, on ne retrouvera pas dans son œuvre une évocation directe de la Bretagne, contrairement à ses amis poètes comme José-Maria de Heredia. Pourtant, on peut trouver en filigrane l’influence de ces deux mois passés dans la région, et plus particulièrement dans sa maison isolée.

Tout d’abord, ce voyage est l’occasion pour lui de se remettre à écrire de la poésie, après sept ans sans production. Il travaille à son « Toast funèbre », un hommage en prose dédié à son défunt ami Théophile Gautier, mort l’année précédente. Il rend son texte à l’éditeur au début du mois d’octobre 1873, quelques jours seulement après son retour de Bretagne. Mais c’est surtout sa confrontation à la nature armoricaine qui va l’aider à se reprendre, et produire l’une de ses œuvres majeures, « Igitur », un conte philosophique. De son aveu même, cette expérience lui permet de concevoir « cette partie qui demande de longues et terribles rêveries, abstrait, solitaire ». Il évoque dans sa correspondance le « vacarme du vent » derrière lequel il semble déceler des voix : « Je voudrais deviner ce qu’elles disent, fâchées, tantôt grognons, tantôt furieuses… »

Bref, c’est l’inspiration qu’est venu chercher Mallarmé au bord de la mer. À travers ce texte inachevé – il ne sera finalement publié que vingt-sept ans après la mort du poète – on retrouve les traces de ce séjour face à la mer d’Iroise…

Source : https://www.letelegramme.fr/histoire/quand-mallarme-retrouve-le-gout-d-ecrire-en-bretagne-14-02-2021-12700048.php

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