
Ce monument a été inauguré le 28 novembre 1892. Le comité de souscription avait pour président Leconte de Lisle, et pour vice-président François Coppée. (http://www.senat.fr/visite/jardin/statues.html)
« Mon objet est Théodore de Banville qui n’est pas quelqu’un, mais le son même de la lyre.«
Mallarmé
La riante immortalité d’un poëte résout les questions, en dissipe le vague, avec un rayon. Ainsi, par ce midi, l’autre dimanche, automnal, quand plusieurs ou tous qui honorons son culte, le vers, et aimons la mémoire du Maître, inaugurâmes le monument, dans un jardin, à Théodore de Banville. L’authentique tombe garde les restes et présente une dure pierre aux genoux de veuve endolorie ou de proche ! Je me figure — et devance la décision bientôt prise relativement à une résurrection, fraternelle, par le marbre ou le bronze attribués à Baudelaire — que convient, pour la quotidienne apothéose, un cimetière désintéressé, profane, glorieux, comme ce Luxembourg : ouvert au ciel particulier qui demeure sur les citadines futaies, les vases décoratifs, les fleurs ; et cher au passant. Détail, le triomphateur en était, voici à peine dix-huit mois, l’hôte, presque chaque jour. Son traditionnel et neuf esprit, là, introduisit, auparavant, une moderne évocation mythologique :
Un soir de juin, bercés par les flots attendris,
Les iris pâlissants croissaient au bord de l’onde ;
Et dans le Luxembourg, ce paradis du monde,
Les marbres de l’Attique, amoureux de Paris,
Voyaient l’air et les cieux et la terre fleuris.
(Malédiction de Cypris.)
Toujours, aussi près du Panthéon se prend-on à regretter qu’Hugo (eux, les savants, les politiques, plus ou moins, s’accommodent de la vide coupole sous quoi la Mort continue une séance de parlement et d’institut) habite un froid de crypte; quand avait lieu de renaître pareillement parmi des ramiers, ou l’espace.
Affection à part, si, parlant poèmes, se peut omettre le souvenir de l’auguste tête fine que le buste instauré éveille pour le promeneur et ami, je vouai à Théodore de Banville un culte. L’exceptionnelle clarté où je l’admire, trait unique et comme absolu, s’aidera de la brièveté de ma causerie. Non que n’importe de signaler des dons excessifs, divers ; mais je les confonds en tant qu’éléments d’un miracle. Même afin de prouver que je vois comme tout le monde, moins bien certes, j’exhume, sans pitié à mon égard, une des premières pages qu’écolier je traçai dans la solitude, à la louange du dieu dont je choisirais, pour le célébrer aujourd’hui, de dire mieux la même chose ; ou ne la calquant sur le tour et une manière à lui propres et n’empruntant sa voix. « Si l’ esprit n’est gratifié d’une ascension mystique : las de regarder l’ennui dans le métal cruel d’un miroir, et cependant aux heures où l’âme rythmique aspire à l’antique délire du chant, mon objet est Théodore de Banville qui n’est pas quelqu’un, mais le son même de la lyre. Avec lui, je sens la poésie m’enivrer, que tous les temps ont appelée ainsi et bois à la fontaine de lyrisme. Fermé le livre, les yeux avec de grandes larmes de tendresse et un nouvel orgueil. Ce que d’enthousiasme et de bonté musicale et de pareil aux rois chante et j’aime ! j’aime naître, j’aime les lumineux sanglots des femmes aux longs cheveux, et je voudrais tout confondre dans un poétique baiser. Nul mieux ne représente maintenant le Poëte, l’invincible, classique Poète soumis à la déesse et vivant parmi le charme oublié des héros et des roses. Sa parole, sans fin, l’ambroisie, que seul tarit le cri ivre de toute gloire.. Les vents qui parlent d’effarement et de la nuit, les abîmes pittoresques de la région, il ne les veut entendre ni ne doit les voir : il marche à travers l’enchantement édenéen, désignant à jamais la noblesse des rayons et l’éclatante blancheur du lys enfant — la terre heureuse ! Ainsi dut être qui le premier reçut des dieux la voix et dit l’ode éblouie avant notre aïeul Orphée. Institue, ô mon songe, la cérémonie d’un triomphe à évoquer aux heures de splendeur et de féerie, et l’appelle la Fête du Poëte : l’élu est cet homme au nom prédestiné, harmonieux comme un poème et charmant comme un décor. Dans l’empyrée, il siège sur un trône d’ivoire, ceint de la pourpre que lui a le droit de porter, le front ombragé des géantes feuilles du laurier de la Turbie. J’ouïs des strophes ; la Muse, vêtue du sourire qui sort d’un jeune torse, lui verse l’inspiration — cependant qu’à ses pieds meurt une nue reconnaissante. La grande lyre s’extasie dans ses mains. »
Le pauvre trumeau, suranné ; et pardon.
Je recueille quelque fierté, reflet concédé par le prince de lettres à l’admirateur vrai, qu’un sentiment, après un quart de siècle, se reconnaisse, pareil mais affiné dans un sens très aigu, que je vais m’appliquer à définir, peut-être, subtilement.
La Poésie, ou ce que les siècles commandent tel, tient au sol, avec foi, à la poudre que tout demeure; ainsi que de hautes fondations, dont l’ombre sérieuse augmente le soubassement, le confond et l’attache. Ce cri de pierre s’unifie vers le ciel en les piliers interrompus, des arceaux ayant un jet d’audace dans la prière ; mais enfin, quelque immobilité. J’attends que, chauve-souris éblouissante et comme l’éventement de la gravité, soudain, du site par une pointe d’aile autochtone, le fol, adamantin, colère, tourbillonnant génie heurte la ruine; s’en délivre, dans la voltige qu’il est, seul.
Théodore de Banville parfois devient ce sylphe suprême.
Celui, quand tout va s’éteindre ou choir, le Dernier ; ou l’initial, dont la sagesse patienta, près une source innée, que des tonnerres grandiloquents, brutaux fragments par trop étrangers à ce qui n’est pas le petit fait de chanter, abattissent leur colosse : pour, oui ! paraître, comme le couronnement railleur sans quoi tout serait vain.
Si je recours, en vue d’un éclaircissement ou de généraliser, aux fonctions de l’Orchestre, devant lequel resta candidement, savamment fermé notre musicien de mots, observez que les instruments détachent, selon un sortilège aisé à surprendre, la cime, pour ainsi voir, de naturels paysages ; les évapore et les renoue, flottants, dans un état supérieur. Voici qu’à exprimer la forêt, fondue en le vert horizon crépusculaire, suffit tel accord dénué presque d’une réminiscence de chasse ; ou le pré, avec sa pastorale fluidité d’une après-midi écoulée, se mire et fuit dans des rappels de ruisseau. Une ligne, quelque vibration, sommaires et tout s’indique. Contrairement à l’art lyrique comme il fut, élocutoire, en raison du besoin, strict, de signification. — Quoiqu’y confine une suprématie, ou déchirement de voile et lucidité, le Verbe reste, de sujets, de moyens, plus massivement lié à la nature.
La divine transposition, pour l’accomplissement de quoi existe l’homme, va du fait à l’idéal. Or, grâce à de scintillantes qualités, épanouies aux deux siècles français aristocratiques dont Banville résuma la tradition en ce mot : l’esprit (car il a été le seul spirituel que ce fut donné d’entendre — dites, ses amis ! — et l’a été lyriquement et comme la foudre), nous eûmes cette impression d’extrême, de rare et de superlatif.. La sienne, une poésie, je dirai au degré au delà, mais, point de seconde main ou artificielle. Je sais, il se devinait à ce point, l’héritier, choyé et impropre au méchef, que de tirer, par un témoignage très tendre ou de respect, qui en illuminait la beauté énorme, à même Hugo, sa fusée de clair rire. Jeux secondaires, caractéristiques. Qui, des modernes, à côté ou comparable ; selon un temps ne voulant aucunement en finir avec notre art éternel et vieux comme la vie, mais le dégager, en toute pureté, ainsi qu’une vocalise à mille éclats ? Je nomme Heine, sa lecture préférée, si autre ! et un, que les lettrés d’ici revendiquent autant, Poe, en de certains airs cristallins, brefs et jeunes. Ai-je dit cela ? précisément, il le fallait ; pour marquer que ce n’est pas, par l’étincellement de la gaîté (encore qu’il inventa du coup, avec les Odes funambulesques, le comique versifié ou issu de la prosodie, rimes et coupes), ni par l’ironie, dardée souveraine ; bien d’après la nécessité d’un rôle vierge et jusque maintenant inconnu, que l’auteur des Cariatides et des Exilés, du Sang de la Coupe, des Odelettes, des Améthystes, de Nous Tous, Sonnailles et Clochettes, Dans la Fournaise, enfin d’un théâtre prestigieux, pour ne rien dire de tant de prose égalée par sa seule conversation, représente, à travers les somptuosités, les ingénuités et les piétés, l’être de joie et de pierreries, qui brille, domine, effleure.
Divagations (1897)
Un article de Symphonie littéraire (1864) consacré par Mallarmé à Banville
Né à Moulins, en Auvergne, le 14 mars 1823, Théodore de Banville est un poète parnassien, auteur d’une vaste oeuvre poétique, où se détachent surtout les Odes funambulesques, en 1857, et les Exilés, en 1867. Il est également auteur de pièces de théâtre, comme Gringoire, en 1886, inspiré du personnage éponyme de Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo.
Théodore de Banville meurt à Paris le 13 mars 1891.
Site conseillé : Les oeuvres poétiques de Théodore de Banville
Mallarmé consacre un article de Symphonie littéraire (1864) à Banville :
« Mais quand mon esprit n’est pas gratifié d’une ascension dans les cieux spirituels, quand je suis las de regarder l’ennui dans le métal cruel d’un miroir, et, cependant, aux heures où l’âme rythmique veut des vers et aspire à l’antique délice du chant, mon poète, c’est le divin Théodore de Banville, qui n’est pas un homme, mais la voix même de la lyre. Avec lui, je sens la poésie m’enivrer – ce que tous les peuples ont appelé la poésie, – et, souriant, je bois le nectar dans l’Olympe du lyrisme.
Et quand je ferme le livre, ce n’est plus serein ou hagard, mais fou d’amour, et débordant, et les yeux pleins de grandes larmes de tendresse, avec un nouvel orgueil d’être homme. Tout ce qu’il y a d’enthousiasme ambrosien en moi et de bonté musicale, de noble et de pareil aux dieux, chante, et j’ai l’extase radieuse de la Muse! J’aime les roses, j’aime l’or du soleil, j’aime les harmonieux sanglots des femmes aux longs cheveux, et je voudrais tout confondre dans un poétique baiser !
C’est que cet homme représente en nos temps le poëte, l’éternel et le classique poëte, fidèle à la déesse, et vivant parmi la gloire oubliée des héros et des dieux. Sa parole est, sans fin, un chant d’enthousiasme, d’où s’élance la musique, et le cri de l’âme ivre de toute la gloire. Les vents sinistres qui parlent dans l’effarement de la nuit, les abîmes pittoresques de la nature, il ne les veut entendre ni ne doit les voir : il marche en roi à travers l’enchantement édenéen de l’âge d’or, célébrant à jamais la noblesse des rayons et la rougeur des roses, les cygnes et les colombes, et l’éclatante blancheur du lis enfant, – la terre heureuse! Ainsi dut être celui qui le premier reçut des dieux la lyre et dit l’ode éblouie avant notre aïeul Orphée. Ainsi lui-même, Apollon.
Aussi j’ai institué dans mon rêve la cérémonie d’un triomphe que j’aime à évoquer aux heures de splendeur et de féerie, et je l’appelle la fête du poëte : l’élu est cet homme au nom prédestiné, harmonieux comme un poème et charmant comme un décor. Dans une apothéose, il siège sur un trône d’ivoire, couvert de la pourpre que lui seul a le droit de porter, et le front couronné des feuilles géantes du laurier de la Turbie. Ronsard chante des odes, et Vénus, vêtue de l’azur qui sort de sa chevelure, lui verse l’ambroisie – cependant qu’à ses pieds roulent les sanglots d’un peuple reconnaissant. La grande lyre s’extasie dans ses mains augustes. »
http://fdnet.perso.infonie.fr/autour/banville.htm
« JE VOUAI A THÉODORE DE BANVILLE UN CULTE » (MALLARMÉ)

MALLARMÉ, Stéphane
[Théodore de Banville]
Paris, Mercure de France, 1893
« JE VOUAI A THÉODORE DE BANVILLE UN CULTE » (MALLARMÉ)
ÉDITION ORIGINALE française de cet article paru antérieurement à Londres dans The National Observer
In-8 (219x139mm) 6 pages chiffrées 97-102. Deux ornements typographiques
EX-DONO DE HENRI MONDOR : note autographe sur l’un des feuillets de garde :
Mon cher Emile Henriot, Acceptez cet exemplaire, peut être unique, d’un admirateur de Mallarmé peut être précoce – celui qui fit relier ces 6 pages délicieuses – en remerciement très affectueux pour ce que vous fîtes pour le Poète, le 7 juin 1957 en un rez-de-chaussé fameux ! H. Mondor, et pardonnez mon ex-libris
RELIURE SIGNÉE DE F. SAULNIER. Demi chagrin tabac, dos à nerfs orné et doré, tête dorée
PROVENANCE : Henri Mondor (ex-libris)
Cet exemplaire provient de la bibliothèque de Henri Mondor, chirurgien réputé et membre de l’Académie française, qui a consacré plusieurs ouvrages à Mallarmé, dont une importante biographie. Henri Mondor fit don au célèbre homme politique radical Emile Henriot de ce très beau texte, à la syntaxe si élaborée, par lequel Mallarmé réclame que ‘l’hommage à Banville s’achève en la dédicace d’un de ces volumes collectifs, rituels dorénavant de quelques hautes gloires, dès la Renaissance appelés Tombeaux, allégoriquement : honneur réservé aux poètes ».
A l’instar de ceux écrits pour Gauthier et Baudelaire. Mallarmé et Banville entretenaient des relations d’amitié et d’admiration réciproques. C’est grâce à Mallarmé que Banville, séduit de retrouver dans son verbe raffiné l’accent baudelairien, s’initia à la littérature anglaise dont il ne connaissait guère que Shakespeare. Mallarmé fit aussi entendre et comprendre à Banville les harmonies merveilleuses des sonnets de Payne.
https://deproyart.com/litterature/poesie/theodore-de-banville
Retour au paradis perdu
Le « divin Banville » (Mallarmé) a ainsi fait de la poésie un monde irréel, mais complet, dans lequel Baudelaire voyait « un retour très volontaire à l’état paradisiaque ». https://www.larousse.fr/encyclopedie/litterature/Th%C3%A9odore_de_Banville/171246
