
photographié par Henri Manuel, années 1920.
Paul Valéry, nom de plume d’Ambroise Paul Toussaint Jules Valéry, est un écrivain, poète et philosophe français né le 30 octobre 1871 à Sète (Hérault) et mort le 20 juillet 1945 à Paris.
Il effectue un début de carrière dans l’ombre, secrétaire particulier d’Edouard Lebey, fonction qui lui laisse le loisir de l’étude, la recherche et des rencontres avec le milieu artistique et littéraire de l’époque. Ce n’est qu’au sortir de la première guerre mondiale, à l’abord de la cinquantaine, que sa célébrité éclate en tant que poète avec la publication de La Jeune Parque. Il devient dès lors immensément célèbre en tant qu’intellectuel et homme de lettres.
Sollicité de toute part pour donner des conférences et produire des articles, interlocuteur des plus grands scientifiques et penseurs de l’époque, il devient une sorte de « héros intellectuel » national. Élu à l’Académie française, professeur au collège de France, sa célébrité ne s’éclipse pas jusqu’à sa mort, tout à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
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Paul Valéry – Michel Jarrety

A vingt-cinq ans, après de beaux poèmes qui lui valent une réputation précoce dans le milieu littéraire de la fin du XIXe siècle, Valéry abandonne à peu près les vers, traverse une longue crise, puis, coup sur coup, écrit deux chefs-d’œuvre, l’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci et La Soirée avec Monsieur Teste – après quoi il s’enferme dans un obscur emploi de rédacteur au ministère de la Guerre et se livre à d’abstraites recherches dans ses Cahiers. On croit volontiers qu’il n’écrira plus et, si sa vie, alors, se fût interrompue, il n’aurait laissé dans l’histoire littéraire que la fulgurance d’une première œuvre. Mais Valéry, si incertain qu’il soit de son désir d’être écrivain, ne tourne pas le dos à la littérature et, à la fin de la Première Guerre, la publication de La Jeune Parque lui vaut une célébrité immédiate – et qui devient bientôt une immense gloire.
Parce qu’aucune biographie véritable ne lui avait été jusqu’ici consacrée, cette double carrière entrecoupée d’un retrait de vingt ans était demeurée largement méconnue, un peu mystérieuse aussi, et la figure même de Valéry restait tributaire de légendes anciennes. André Breton l’identifiait à Monsieur Teste, et ce portrait de l’écrivain en héros de soi-même, délié de l’humanité jusqu’à en paraître parfois inhumain, se trouvait sans cesse reconduit. Ainsi était exclu tout ce qui relevait, chez lui, de l’existence privée – mais surtout d’une nature profondément humaine : les détresses dont ses jours se tissaient, les inquiétudes que la précarité de sa situation matérielle lui inspirait, ou encore le regard si souvent sévère qu’il jetait sur son œuvre.
Il fallait donc revenir à ce qui authentiquement eut lieu et ce livre, de manière entièrement nouvelle, s’attache à le dire à partir d’un considérable fonds de documents inédits, et pour présenter au lecteur un récit où s’entrecroisent la genèse de l’œuvre, l’évocation de la vie privée, mais aussi d’une vie publique dont on n’avait encore jamais vraiment pris la mesure. Or, les fonctions que Valéry a occupées dans le cadre de la Société des Nations, au PEN Club, et dans d’autres institutions encore, l’ont placé au cœur de l’histoire. L’intérêt qu’il a su lui porter, le rôle d’orateur quasi-officiel qu’il a pu tenir, l’habit d’ambassadeur des lettres que ses conférences lui ont fait peu ou prou endosser ont fait de lui un « contemporain capital » du siècle passé. Quantité de rencontres l’attestent et l’on verra passer ici d’innombrables figures illustres qui nous montrent elles aussi à quel point l’existence de Valéry ne se laisse vraiment découvrir qu’au filigrane de son époque : sa biographie devient une contribution à l’histoire de son temps.
Professeur à la Sorbonne, Michel Jarrety est spécialiste de l’œuvre de Valéry auquel il a consacré de nombreux travaux depuis près de trente ans.
Valvins

Valvins
Paul VALÉRY
Recueil : « Album de vers anciens »
Si tu veux dénouer la forêt qui t’aère
Heureuse, tu te fonds aux feuilles, si tu es
Dans la fluide yole à jamais littéraire,
Traînant quelques soleils ardemment situés
Aux blancheurs de son flanc que la Seine caresse
Émue, ou pressentant l’après-midi chanté,
Selon que le grand bois trempe une longue tresse,
Et mélange ta voile au meilleur de l’été.
Mais toujours près de toi que le silence livre
Aux cris multipliés de tout le brut azur,
L’ombre de quelque page éparse d’aucun livre
Tremble, reflet de voile vagabonde sur
La poudreuse peau de la rivière verte
Parmi le long regard de la Seine entr’ouverte.
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Juillet 1893

Juillet 1893
Cet été là, Valéry se retrouve seul, ses amis étant partis en villégiature pour les vacances. Il ne cache pas comme il souffre de ce nouveau désert d’hommes : « je suis d’un seul! Quand ma tête marche, je jouis en somme, et grâce un peu à cet isolement. Mais le vent est tombé, il n’y a rien autour de moi. On a coupé les communications. Atrocement seul. » Je suis d’un seul! la formule, mot pour mot, reviendra de loin en loin sous sa plume jusqu’en ses plus glorieuses années, et on aurait tort de ne pas laisser à cet aveu toute sa gravité : si Valéry cultive sa différence parmi les autres, le commerce de ses amis et la chaleur de leur conversation lui sont impérieusement nécessaires.
En ce sinistre mois de juillet, l’invitation de son camarade de classe Louis Aubanel ne peut donc tomber mieux. Son ami lui propose de venir quelque temps auprès de lui à Fontainebleau.
Et un jour qu’ils canotent sur la Seine, ils aperçoivent sur la berge Mallarmé qui séjourne tout près, dans sa maison de Valvins. Ce jour là, il est à pied, mais lui aussi souvent canote : il s’est acheté une petite yole qui, en haut du mât, porte un menu drapeau marqué « S.M », et en tricot blanc, coiffé d’un chapeau de paille, part volontiers au fil du fleuve, entraînant parfois de jeunes poètes avec lui. En fait de navigation fluviale, le maître est plus expérimenté que le disciple, et, une fois Mallarmé à bord, Valéry prend de lui « une bonne leçon de navigation ».
P. 127 Paul Valéry. Michel Jarrety.
Mallarmé et Valéry

Valéry à Paris

Paul Valéry, vers 1938.
Rue Paul-Valéry à Paris 16

« L’escadron volant »

Académie Mallarmé

Debout :Édouard Dujardin, Francis Vielé-Griffin, Paul Valéry, André-Ferdinand Herold, André Fontainas, Jean Ajalbert.
Assis :Saint-Pol-Roux, Paul Fort
Paul Valéry, la Grèce, l’Europe

Paul Valéry, “Le problème des musées.” (1923)

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“ Le problème des musées ”
Je n’aime pas trop les musées. Il y en a beaucoup d’admirables, il n’en est point de délicieux. Les idées de classement, de conservation et d’utilité publique, qui sont justes et claires, ont peu de rapport avec les délices.
Au premier pas que je fais vers les belles choses, une main m’enlève ma canne, un écrit me défend de fumer.
Déjà glacé par le geste autoritaire et le sentiment de la contrainte, je pénètre dans quelque salle de sculpture où règne une froide confusion. Un buste éblouissant apparaît entre les jambes d’un athlète de bronze. Le calme et les violences, les niaiseries, les sourires, les contractures, les équilibres les plus critiques me composent une impression insupportable. Je suis dans un tumulte
de créatures congelées, dont chacune exige, sans l’obtenir, l’inexistence de toutes les autres. Et je ne parle pas du chaos de toutes ces grandeurs sans mesure commune, du mélange inexplicable des nains et des géants, ni même de ce raccourci de l’évolution que nous offre une telle assemblée d’êtres parfaits et d’inachevés, de mutilés et de restaurés, de montres et de messieurs…
L’âme prête à toutes les peines, je m’avance dans la peinture. Devant moi se développe dans le silence un étrange désordre organisé. Je suis saisi d’une horreur sacrée. Mon pas se fait pieux. Ma voix change et s’établit un peu plus haute qu’à l’église, mais un peu moins forte qu’elle ne sonne dans l’ordinaire de la vie. Bientôt, je ne sais plus ce que je suis venu faire dans ces solitudes
cirées, qui tiennent du temple et du salon, du cimetière et de l’école… Suis-je venu m’instruire, ou chercher mon enchantement, ou bien remplir un devoir et satisfaire aux convenances ? Ou encore, ne serait-ce point un exercice d’espèce particulière que cette promenade bizarrement entravée par des beautés, et déviée à chaque instant par ces chefs-d’œuvre de droite et de gauche, entre
lesquels il faut se conduire comme un ivrogne entre les comptoirs ?
La tristesse, l’ennui, l’admiration, le beau temps qu’il faisait dehors, les reproches de ma conscience, la terrible sensation du grand nombre des grands artistes marchent avec moi.
Je me sens devenir affreusement sincère. Quelle fatigue, me dis-je, quelle barbarie ! Tout ceci est inhumain. Tout ceci n’est point pur. C’est un paradoxe que ce rapprochement de merveilles indépendantes mais adverses, et même qui sont le plus ennemies l’une de l’autre, quand elles se ressemblent le plus.
Une civilisation ni voluptueuse, ni raisonnable peut seule avoir édifié cette maison de l’incohérence. Je ne sais quoi d’insensé résulte de ce voisinage de visions mortes. Elles se jalousent et se disputent le regard qui leur apporte l’existence. Elles appellent de toutes parts mon indivisible attention ; elles affolent le point vivant qui entraîne toute la machine du corps vers ce qui l’attire…
L’oreille ne supporterait pas d’entendre dix orchestres à la fois. L’esprit ne peut ni suivre, ni conduire plusieurs opérations distinctes, et il n’y a pas de raisonnements simultanés. Mais l’œil, dans l’ouverture de son angle mobile et dans l’instant de sa perception se trouve obligé, d’admettre un portrait et une marine, une cuisine et un triomphe, des personnages dans les états et les dimensions les plus différents ; et davantage, il doit accueillir dans le même regard des harmonies et des manières de peindre incomparables entre elles.
Comme le sens de la vue se trouve violenté par cet abus de l’espace que constitue une collection, ainsi l’intelligence n’est pas moins offensée par une étroite réunion d’œuvres importantes. Plus elles sont belles, plus elles sont des effets exceptionnels de l’ambition humaine, plus doivent-elles être distinctes. Elles sont des objets rares dont les auteurs auraient bien voulu qu’ils fussent uniques. Ce tableau, dit-on quelquefois, TUE tous les autres autour de lui… Je crois bien que l’Égypte, ni la Chine, ni la Grèce, qui furent sages et raffinées, n’ont connu ce système de juxtaposer des productions qui se dévorent l’une l’autre. Elles ne rangeaient pas des unités de plaisir incompatibles sous des numéros matricules, et selon des principes abstraits.
Mais notre héritage est écrasant. L’homme moderne, comme il est exténué par l’énormité de ses moyens techniques, est appauvri par l’excès même de ses richesses. Le mécanisme des dons et des legs, la continuité de la production et des achats, – et cette autre cause d’accroissement qui tient aux variations de la mode et du goût, à leurs retours vers des ouvrages que l’on avait
dédaignés, concourent sans relâche à l’accumulation d’un capital excessif et donc inutilisable.
Le musée exerce une attraction constante sur tout ce que font les hommes. L’homme qui crée, l’homme qui meurt, l’alimentent. Tout finit sur le mur ou dans la vitrine… Je songe invinciblement à la banque des jeux qui gagne à tous les coups.
Mais le pouvoir de se servir de ces ressources toujours plus grandes est bien loin de croître avec elles. Nos trésors nous accablent et nous étourdissent.
La nécessité de les concentrer dans une demeure en exagère l’effet stupéfiant et triste. Si vaste soit le palais, si apte, si bien ordonné soit-il, nous nous trouvons toujours un peu perdus et désolés dans ces galeries, seuls contre tant d’art. La production de ce millier d’heures que tant de maîtres ont consumées à dessiner et à peindre agit en quelques moments sur nos sens et sur notre esprit, et ces heures elles-mêmes furent des heures toutes chargées d’années
de recherches, d’expérience, d’attention, de génie !… Nous devons fatalement
succomber. Que faire ? Nous devenons superficiels.
Ou bien, nous nous faisons érudits. En matière d’art, l’érudition est une sorte de défaite : elle éclaire ce qui n’est point le plus délicat, elle approfondit ce qui n’est point essentiel. Elle substitue ses hypothèses à la sensation, sa mémoire prodigieuse à la présence de la merveille ; et elle annexe au musée immense une bibliothèque illimitée. Vénus changée en document.
Je sors la tête rompue, les jambes chancelantes, de ce temple des plus nobles voluptés. L’extrême fatigue, parfois, s’accompagne d’une activité presque douloureuse de l’esprit. Le magnifique chaos du musée me suit et se combine au mouvement de la vivante rue. Mon malaise cherche sa cause. Il remarque ou il invente, je ne sais quelle relation entre cette confusion qui l’obsède et l’état tourmenté des arts de notre temps.
Nous sommes, et nous nous mouvons dans le même vertige du mélange, dont nous infligeons le supplice à l’art du passé.
Je perçois tout à coup une vague clarté. Une réponse s’essaye en moi, se détache peu à peu de mes impressions, et demande à se prononcer. Peinture et Sculpture, me dit le démon de l’Explication, ce sont des enfants abandonnés.
Leur mère est morte, leur mère Architecture. Tant qu’elle vivait, elle leur donnait leur place, leur emploi, leurs contraintes. La liberté d’errer leur était refusée. Ils avaient leur espace, leur lumière bien définie, leurs sujets, leurs alliances… Tant qu’elle vivait, ils savaient ce qu’ils voulaient…
– Adieu, me dit cette pensée, je n’irai pas plus loin.
FIN DU TEXTE
Paul Valéry et la nausée des musées

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Voir aussi Au sujet des musées
Articles
L’introspection selon Paul Valéry

Quelle sorte de psychologue fut le poète Paul Valéry, lui qui, tout au long de son œuvre, analysa méticuleusement les mécanismes de sa pensée et n’en déconseilla pas moins de « se croire soi-même sur parole » ?
Paul Valéry s’est passionné pour l’étude de la pensée humaine, en particulier la sienne. Son œuvre fut en quelque sorte le « laboratoire de sa pensée ». Dans Paul Valéry, amoureux de son cerveau (Odile Jacob, 2022), notre invité, le psychologue Olivier Houdé, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, de l’Institut de France et de l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, nous présente les observations du poète sur le sujet, avant d’en éclairer la perspicacité à la lumière des découvertes récentes en neurosciences.