Le vin des poètes… à Valvins

  1. Le Vin Maudit
    1. Dans l’orbite rimbaldienne, Paterne Berrichon, Paul Verlaine et Stéphane Mallarmé
    2. Mallarmé, Aumône
  2. Tous les poèmes
    1. Paul Verlaine, Vendanges
    2. Baudelaire, Le Vin du Solitaire
    3. Théodore de Banville, Le vin de l’Amour
    4. Baudelaire, L’âme du vin
    5. Théodore de Banville, La Chanson du Vin
    6. Coppée, Le Cabaret
Le Vin Maudit
Dans l’orbite rimbaldienne, Paterne Berrichon, Paul Verlaine et Stéphane Mallarmé

Le Vin Maudit. Petits poèmes avec un frontispice de Paul Verlaine.

Paris, Léon Vanier, 1896.

In-12 de (1) f., 64 pp. et (1) f. – Broché, couvertures imprimées.

Provenance : Stéphane Mallarmé (envoi de Paterne Berrichon au faux-titre).

ÉDITION ORIGINALE DES POÈMES DE PATERNE BERRICHON AVEC QUELQUES CORRECTIONS MANUSCRITES DE SA MAIN.

Exemplaire du Service de Presse (mention SP indiqué à l’encre au dernier feuillet imprimé).

ÉDITION ORIGINALE DU POÈME DE PAUL VERLAINE FAISANT OFFICE DE FRONTISPICE.

PRÉCIEUX EXEMPLAIRE PERSONNEL DE STÉPHANE MALLARMÉ.

C’est un an avant d’épouser la sœur d’Arthur Rimbaud, Isabelle, que Paterne Berrichon publie ce recueil et l’adresse respectueusement à Mallarmé comme l’atteste notre exemplaire. « Comme beaucoup de jeunes gens que hantait l’éclat d’une renommée, il [Paterne Berrichon] entra en contact avec Stéphane Mallarmé, sans doute aux alentours de l’année 1890 ; il est probable qu’il lui fit parvenir alors son recueil de poésies Le Vin maudit ».

Avec Verlaine et Rimbaud, Mallarmé formait alors la trinité poétique de cette fin du XIXe siècle et c’est en tant que dernier survivant qu’il ressentit l’implicite devoir de veiller sur la mémoire des autres, tout comme Paterne Berrichon se consacra avec avidité à la défense des œuvres de son beau-frère.

À Madame Rimbaud mère prenant auprès de lui des renseignements sur son futur gendre (lequel avait un passé quelque peu anarchiste), Mallarmé subtilement lui évoqua par connivence les « commencements troublés de [son] aimable fils »

Exemplaire de choix.

Jean-Luc Steinmetz, Stéphane Mallarmé, Fayard, 1998 – André Rodocanachi, Le poète et l’hagiographe : Stéphane Mallarmé et Paterne Berrichon, Commentaire 1979/2 n° 6, pp. 295-298.

Portrait de Paterne Berrichon,
photo-carte de visite par Otto Wegener (1897),
Charleville-Mézières, musée Arthur Rimbaud.

Paterne Berrichon, pseudonyme de Pierre-Eugène Dufour, né à Issoudun (Indre) le 10 janvier 1855 et mort à La Rochefoucauld (Charente) le 30 juillet 1922, est un poète, peintre, sculpteur et dessinateur français.

Il est surtout connu pour avoir été le beau-frère et l’éditeur d‘Arthur Rimbaud.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Paterne_Berrichon

Mallarmé, Aumône

Prends ce sac, Mendiant ! tu ne le cajolas
Sénile nourrisson d’une tétine avare
Afin de pièce à pièce en égoutter ton glas.

Tire du métal cher quelque péché bizarre
Et, vaste comme nous, les poings pleins, le baisons
Souffles-y qu’il se torde ! une ardente fanfare.

Eglise avec l’encens que toutes ces maisons
Sur les murs quand berceur d’une bleue éclaircie
Le tabac sans parler roule les oraisons,

Et l’opium puissant brise la pharmacie !
Robes et peau, veux-tu lacérer le satin
Et boire en la salive heureuse l’inertie,

Par les cafés princiers attendre le matin ?
Les plafonds enrichis de nymphes et de voiles,
On jette, au mendiant de la vitre, un festin.

Et quand tu sors, vieux dieu, grelottant sous tes toiles
D’emballage, l’aurore est un lac de vin d’or
Et tu jures avoir au gosier les étoiles !

Faute de supputer l’éclat de ton trésor,
Tu peux du moins t’orner d’une plume, à complies
Servir un cierge au saint en qui tu crois encor.

Ne t’imagine pas que je dis des folies.
La terre s’ouvre vieille à qui crève la faim.
Je hais une autre aumône et veux que tu m’oublies

Et surtout ne va pas, frère, acheter du pain.

Stéphane Mallarmé

Tous les poèmes
Paul Verlaine, Vendanges
Vincent Van Gogh, La vigne rouge, 1888


Les choses qui chantent dans la tête
Alors que la mémoire est absente,
Ecoutez, c’est notre sang qui chante…
O musique lointaine et discrète !

Ecoutez ! c’est notre sang qui pleure
Alors que notre âme s’est enfuie,
D’une voix jusqu’alors inouïe
Et qui va se taire tout à l’heure.

Frère du sang de la vigne rose,
Frère du vin de la veine noire,
O vin, ô sang, c’est l’apothéose !

Chantez, pleurez ! Chassez la mémoire
Et chassez l’âme, et jusqu’aux ténèbres
Magnétisez nos pauvres vertèbres,

Paul Verlaine

Baudelaire, Le Vin du Solitaire

Le regard singulier d’une femme galante
Qui se glisse vers nous comme le rayon blanc
Que la lune onduleuse envoie au lac tremblant,
Quand elle y veut baigner sa beauté nonchalante ;

Le dernier sac d’écus dans les doigts d’un joueur ;
Un baiser libertin de la maigre Adeline ;
Les sons d’une musique énervante et câline,
Semblable au cri lointain de l’humaine douleur,

Tout cela ne vaut pas, ô bouteille profonde,
Les baumes pénétrants que ta panse féconde
Garde au cœur altéré du poète pieux ;

Tu lui verses l’espoir, la jeunesse et la vie,
– Et l’orgueil, ce trésor de toute gueuserie,
Qui nous rend triomphants et semblables aux Dieux !

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1857

Théodore de Banville, Le vin de l’Amour

Accablé de soif, l’Amour
Se plaignait, pâle de rage,
A tous les bois d’alentour.
Alors il vit, sous l’ombrage,
Des enfants à l’oeil d’azur
Lui présenter un lait pur
Et les noirs raisins des treilles.
Mais il leur dit : Laissez-moi,
Vous qui jouez sans effroi,
Enfants aux lèvres vermeilles !
Petits enfants ingénus
Qui folâtrez demi-nus,
Ne touchez pas à mes armes.
Le lait pur et le doux vin
Pour moi ruissellent en vain :
Je bois du sang et des larmes.

Théodore de Banville, Le sang de la coupe

Baudelaire, L’âme du vin

Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles :
« Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité !

Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,
De peine, de sueur et de soleil cuisant
Pour engendrer ma vie et pour me donner l’âme ;
Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,

Car j’éprouve une joie immense quand je tombe
Dans le gosier d’un homme usé par ses travaux,
Et sa chaude poitrine est une douce tombe
Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.

Entends-tu retentir les refrains des dimanches
Et l’espoir qui gazouille en mon sein palpitant ?
Les coudes sur la table et retroussant tes manches,
Tu me glorifieras et tu seras content ;

J’allumerai les yeux de ta femme ravie ;
A ton fils je rendrai sa force et ses couleurs
Et serai pour ce frêle athlète de la vie
L’huile qui raffermit les muscles des lutteurs.

En toi je tomberai, végétale ambroisie,
Grain précieux jeté par l’éternel Semeur,
Pour que de notre amour naisse la poésie
Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! »

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1857

Théodore de Banville, La Chanson du Vin

Un soir l’âme du vin chantait dans les bouteilles.
Charles Baudelaire.

Parmi les gazons
Tout en floraisons
Dessous les treilles,
J’écoute sans fin
La chanson du Vin
Dans les bouteilles.

L’Ode à l’Idéal
Au fond du cristal
Coule embaumée.
La strophe bruit,
Et, limpide, suit
Sa sœur charmée.

Les nectars vermeils
Chantent les soleils
De la jeunesse,
Et tous les retours
Qui font nos amours
Pleins de tristesse ;

Et le dieu cornu,
Le beau guerrier nu,
Dans les mêlées,
Qui guide en rêvant
Des femmes au vent
Échevelées ;

Le dieu des pressoirs
Qui, sous les pins noirs
Du mont Ménale,
Fait, pendant la nuit,
Courir à grand bruit
La bacchanale !

Et le tambourin
Des vierges sans frein
Dans leurs querelles,
Qui, loin des regards,
Dans les bois épars
S’aiment entre elles ;

Et le chœur dansant
Qui, rouge, et versant
Dans son délire
Le sang et le vin,
Brise le devin
Avec sa lyre !

Le Nectar nous dit :
O vous qu’engourdit
La Poésie,
Plus de vains sanglots !
Buvez à mes flots
La fantaisie.

Ne réservez plus
Vos vœux superflus
Et vos tendresses
Pour les impudeurs
Et pour les froideurs
De vos maîtresses.

Nos claires prisons
Montrent aux raisons
Évanouies
L’âme des couleurs,
Du rhythme et des fleurs
Épanouies !

Nos secrets plaisirs,
Nés dans les loisirs,
Ont à s’accroître,
Pour les sens domptés
Plus de voluptés
Que ceux du cloître.

Mais fuis, jeune élu,
Le bois chevelu,
Le flot rapide
Et l’antre secret
Où te rencontrait
L’Aganippide !

Le thyrse est levé.
Dans le lieu trouvé
Pour les mystères,
Hurlent de fureur
Les vierges en chœur
Et les panthères.

Privé de tombeaux,
L’impie en lambeaux
Meurt comme Orphée.
Dans l’onde à la fois
Sa lyre et sa voix
Pleure étouffée,

Tandis qu’au lointain
Bondit, le matin,
Toute rougie,
En vociférant
Sur l’indifférent,
La sainte Orgie !

Septembre 1844.

Théodore de Banville, Les Stalactites, 1846

Coppée, Le Cabaret

Dans le bouge qu’emplit l’essaim insupportable
Des mouches bourdonnant dans un chaud rayon d’août,
L’ivrogne, un de ceux-là qu’un désespoir absout,
Noyait au fond du vin son rêve détestable.

Stupide, il remuait la bouche avec dégoût,
Ainsi qu’un bœuf repu ruminant dans l’étable.
Près de lui le flacon, renversé sur la table,
Se dégorgeait avec les hoquets d’un égout.

Oh ! qu’il est lourd, le poids des têtes accoudées
Où se heurtent sans fin les confuses idées
Avec le bruit tournant du plomb dans le grelot !

Je m’approchai de lui, pressentant quelque drame,
Et vis que dans le vin craché par le goulot
Lentement il traçait du doigt un nom de femme.

François Coppée, Le Reliquaire, 1866

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