Sollers et l’écriture : Ainsi donc Mallarmé

En 1967, dans le numéro 31 de la revue Tel Quel, Sollers publie « Programme », une sorte de Manifeste en 16 points (4 x 4) dont l’objectif est de proposer la « théorie d’ensemble » d’une « histoire textuelle » ou « histoire monumentale » s’appuyant sur des textes en « rupture », une « rupture précisément situable » :

La théorie envisagée a sa source dans les textes de la rupture et de ceux qui sont susceptibles de « l’annoncer » et de la « poursuivre ». Le choix de ces textes est fondé sur leur coefficient de contestation théorique-formelle (par exemple : Dante, Sade // Lautréamont, Mallarmé // Artaud, Bataille). D’où définition d’un avant/après qui doit renvoyer en fait et en même temps — par disparition de la position du discours comme vérité « expressive » et l’affirmation d’un espace textuel — à un dedans/dehors défini par la référence occasionnelle à d’autres cultures (c’est Sollers qui souligne)

Deux noms sont alors clairement distingués : celui de Lautréamont et celui de Mallarmé (on notera ici l’absence de Rimbaud). Le « Programme » sera repris dans Logiques en avril 1968, puis, en 1971, dans L’écriture et l’expérience des limites, ce dernier recueil ne reprenant que les essais traitant des six noms mentionnés au « programme » (Dante, Sade, Lautréamont, Mallarmé, Artaud, Bataille). Mallarmé est abordé avec le texte de l’exposé que Sollers fit le 25 novembre 1965 à l’EPHE, lors du Séminaire de Roland Barthes : Littérature et totalité. Dans le premier « chapitre », intitulé précisément « la rupture », on lit (c’est moi qui souligne) :

Dans une constellation de noms qui rassemblerait Lautréamont, Rimbaud, Raymond Roussel, Proust, Joyce, Kafka, le surréalisme et ce qui est né avec lui ou à son contact, Mallarmé occupe, nous semble-t-il, une position clé et comme à égale distance de toutes les autres. Cette constellation n’est pas si incohérente qu’on pourrait le croire au premier abord : elle se déploie sur un fond philosophique et esthétique bouleversé par Marx, Kierkegaard, Nietzsche et Freud (plus tard par la linguistique) ; par Manet, Cézanne, Wagner, Debussy ; — fond qui lui-même renvoie à une mutation scientifique, économique et technique sans précédent. Nous disons que Mallarmé occupe dans ce mouvement une place éclairante, parce que nous croyons la plus explicite son expérience du langage et de la littérature, leur mise en question réciproque et l’exposition qu’il en a donnée. Nous allons essayer ici d’en approcher l’intention : celle de donner au verbe écrire, selon une formule de Roland Barthes, sa fonction intransitive, de communiquer à la lecture un sens absolument littéral ; de définir en somme, par une série de gestes pratiques et théoriques, un mythe cohérent qui réponde de l’ensemble de notre réalité.

Si, en 1965, la « constellation » des noms propres cités est plus vaste, au sein de cette constellation, Mallarmé occupe alors, pour Sollers, « une position-clé », centrale, « la plus explicite » (c’est Sollers qui souligne). A leur manière, Jacques Derrida, en 1969, dans La double séance, puis Julia Kristeva, en 1974, dans La révolution du langage poétique, analyseront aussi en quoi réside cette « position-clé ».

En 1998, dans Le drame de Mallarmé, revenant sur la religion positiviste qui se met en place au XIXe siècle (et impose son règne du faux), Sollers persiste et signe :

Personne, ou presque, ne voit alors passer Rimbaud. Il faudra d’autre part attendre les surréalistes pour que Lautréamont soit enfin un nom. La vraie révolution, pourtant, a lieu dans cette marge de l’Histoire, et elle s’imposera, avec éclat, en peinture (Manet, Monet, Renoir, Van Gogh, Cézanne) ; en sculpture (Rodin) ; en musique (Debussy). Or c’est bien Mallarmé (et nul autre) qui, en douce, accompagne et fonde ce changement capital. (je souligne)

SOMMAIRE
Igitur
« Le rire de Rome »
J.-P. Fargier et F. Dax-Boyer, Cher Mallarmé
Philippe Sollers, L’amour selon Mallarmé
Jean-Paul Fargier, Les Mardis de Mallarmé
Philippe Sollers, Le drame de Mallarmé
Lecture de Un coup de Dés
Jacques Drillon, Mallarmé le clair obscur
Quentin Meillassoux, Le Nombre et la Sirène
Stéphane Mallarmé par Eric Rohmer (1966)
Stéphane Mallarmé par Pierre-Jean Jouve (195

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