Partie de campagne à Fontainebleau

PARTIE DE CAMPAGNE A FONTAINEBLEAU
18 mai 1862

MALLARME
Allais-je ici gagner par ces publications
Quelques lecteurs? J’en caressa l’illusion….
Du moins, en ces temps-là, fut la belle rencontre
De ceux qui deviendront ces vrais amis qui, contre
Leurs liens profonds, les jours ne pourront attenter :
Eugène, pour qui chaque moment de liberté
Etait consacré à écrire des poèmes;
Henri, qui avait ses entrées dans la bohème
Littéraire à Paris. Un matin de printemps,
Grâce à Emmanuel, toujours papillotant,
Nous partîmes tous trois dans la campagne proche
Randonner à travers les arbres et les roches
Granitiques de la forêt de Fontainebleau.
Il y avait aussi le peintre Henri Regnault
Et une charmante compagnie féminine,
Deux françaises et quatre anglaises aux plus belles mines :
Madame Gaillard, sa fille Nina, et puis
Madame Yapp, ses filles dont la belle Ettie.

La petite troupe, innocente et fort joyeuse,
S’égaya en nombre plaisanteries rieuses,
Le long de ces allées par Denecourt le sylvain
Baptisées de noms tendres à la gloire d’écrivains
Célèbres. Cahin-caha, peu à peu nous gagnèrent,
Au Carrefour des Demoiselles, la belle clairière.
On s’assied. On mange des fraises et des pâtés.
On chante, on récite des vers. Et la journée
Fut si belle que s’invita la fantaisie
De la célébrer en en faisant une scie.

LE CARREFOUR DES DEMOISELLES
ou
L’Absence du Lancier
ou
Le Triomphe de la Prévoyance

Fait en collaboration avec les
Oiseaux, les Pâtés, les Fraises et les Arbres

Par :

Stéphane Mallarmé
Emmanuel des Essarts

Air
« Il était un petit navire
Qui n’avait jamais navigué. »

POESIE ET MALLLARME
récitent en alternance les strophes de la scie :

C’était une illustre partie
De gens bien vêtus et bien nés

Neuf Parisiens sans apathie
Intelligents et vaccinés.

Quoique l’on fut mélancolique
_ Il y eu manKate et le lancier
_
On mit sur un granit celtique
Un anathème à l’épicier.

Tous gambadaient comme des chèvres
De bloc en bloc, de roc en roc.

Les mots mazurkaient sur les lèvres
Tantôt tic-tac, tantôt toc-toc

Pour l’aspic et pour la vipère
On ménageait de l’alcali,

On ne rencontra qu’un notaire
Qui, tout jeune, était bien joli.

Là Denecourt, le Siècle en poche,
Dispensateur du vert laurier,

A peint en noir sur une roche :
« Repos du Poète ouvrier. »

Voici l’émerveillante liste
Léguée à la postérité

De cette bande fantaisiste
Bien peu dans sa majorité :

Un jeune baby d’espérance
Que parmi les sombres halliers,

D’un œil d’amour couvait la France
Comme l’enfant des chevaliers;

D’aimables mères de famille
Qui se réjouissaient de voir

Du soleil aux yeux de leurs filles
Et des messieurs Sens habit noir;

Fort mal noté par les gendarmes
Le garibaldien Mallarmé

Ayant encore plus d’arts que d’armes
Semblait un Jud très-alarmé;

Ettie, en patois Henriette,
Plus agile que feu Guignol,

Voltigeait comme une ariette
Dans le gosier d’un rossignol;

Dans le sein de cette algarade
S’ydilisait le Cazalis,

Qui, comme un chaste camarade,
Tutoyait l’azur et le lis;

Puis une Anglaise aux airs de reine
A qui Diane porte un toast,

Qu’Albion envoie à Suresne
Sous la bande du Morning-Post;

Piccolino, le coloriste
Qui pour parfumer nos vingt ans

Pille comme un vil herboriste
L’opulent écrin du printemps

Nina qui d’un geste extatique
Sur le dolmen et le men-hir

Semblait poser pour la Musique,
La musique de l’avenir;

Puis des Essarts Emmanuelle,
Le plus beau-det jeunes rimeurs

Offrait le fantasque modèle
D’un poète ayant gants et moeurs.

Mais Ponsard qui veut qu’on s’ennuie
Vint lui-même installer aux Cieux

Le Théramène de la pluie,
Personnage silencieux.

Puis l’heure leur coupa les ailes
Et, tout boitant et s’accrochant

Du « Carrefour des Demoiselles »
On fit un lac en pleurnichant.

Henri Cazalis

Le 25 avril 1864, Mallarmé écrit à un ami : Voici une quinzaine que Marie (son épouse) est souffrante et j’ai tout lieu de croire qu’avant l’année prochaine il y aura un petit poète entre nous deux. Je tremble à cette idée que je pourrais être père, si j’allais avoir un imbécile dans ma vie ou un laideron. Oh horreur! »

L’ami à qui est adressé ce message est son confident, son frère spirituel, il s’appelle Henri Cazalis. Stéphane Mallarmé l’a connu lors d’une partie de campagne en forêt de Fontainebleau, organisée par un jeune professeur du collège de Sens, Emmanuel des Essarts. Elle est restée célèbre grâce au poème « Le Carrefour des Demoiselles » composé après la promenade. Ancien condisciple d’Emmanuel, Henri Cazalis est poète, il fait des études de Droit puis deviendra médecin et se fera connaître en littérature sous le nom de Jean Lahor. Ces deux jeunes gens et Stéphane Mallarmé formeront un trio indissociable.

Voir La naissance de Geneviève

Voir aussi :

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