
- To —— (Song) Traduction française : M. Slimane
- Les poèmes d’Edgar Poe traduits par Stéphane Mallarmé
- Mallarmé et Poe
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To —— (Song) Traduction française : M. Slimane
Edgar Allan Poe (1809-1849)
CHANSON : À ——.
Traduction française : M. Slimane
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Je te vis à ton jour nuptial —
quand une ardente rougeur te surmonta,
quoique autour de toi le bonheur s’étale,
le monde tout amour devant toi :
Et dans tes yeux une brûlante lumière
(quelle qu’elle put être)
fut tout ce que sur Terre ma vue douloureuse
put voir de Beauté.
Cette rougeur était, peut-être, une honte de jeune fille —
comme telle, elle pourrait bien passer —
quoique son ardeur ait ressuscité une flamme cruelle
dans le sein de celui, hélas !
Qui te vit à ce jour nuptial,
quand cette rougeur profonde te surmontait,
quoique autour de toi le bonheur s’étale,
le monde tout amour devant toi.
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Edgar Allan Poe (1809-1849)
SONG : TO ——
~~~~
I SAW thee on thy bridal day —
When a burning blush came o’er thee,
Though happiness around thee lay,
The world all love before thee:
And in thine eye a kindling light
(Whatever it might be)
Was all on Earth my aching sight
Of Loveliness could see.
That blush, perhaps, was maiden shame —
As such it well may pass —
Though its glow hath raised a fiercer flame
In the breast of him, alas!
Who saw thee on that bridal day,
When that deep blush would come o’er thee,
Though happiness around thee lay,
The world all love before thee.
Source : https://www.facebook.com/photo/?fbid=633954988532516&set=a.235755125019173
Les poèmes d’Edgar Poe traduits par Stéphane Mallarmé

Livre
Les poèmes d’Edgar Poe / traduction de Stéphane Mallarmé
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A DREAM WITHIN A DREAM

A DREAM WITHIN A DREAM.
Take this kiss upon the brow!
And, in parting from you now,
Thus much let me avow—
You are not wrong, who deem
That my days have been a dream;
Yet if hope has flown away
In a night, or in a day,
In a vision, or in none,
Is it therefore the less gone?
All that we see or seem
Is but a dream within a dream.
I stand amid the roar
Of a surf-tormented shore,
And I hold within my hand
Grains of the golden sand—
How few! yet how they creep
Through my fingers to the deep,
While I weep—while I weep!
O God! can I not grasp
Them with a tighter clasp?
O God! can I not save
One from the pitiless wave?
Is all that we see or seem
But a dream within a dream?
Edgar Allan Poe
UN RÊVE DANS UN RÊVE
Tiens ! ce baiser sur ton front ! Et, à l’heure où je te quitte, oui, bien haut, que je te l’avoue : tu n’as pas tort, toi qui juges que mes jours ont été un rêve ; et si l’espoir s’est enfui en une nuit ou en un jour, — dans une vision ou aucune, n’en est-il pour cela pas moins PASSÉ ? Tout ce que nous voyons ou paraissons n’est qu’un rêve dans un rêve.
Je reste en la rumeur d’un rivage par le flot tourmenté et tiens dans la main des grains du sable d’or — bien peu ! encore comme ils glissent à travers mes doigts à l’abîme, pendant que je pleure — pendant que je pleure ! Ô Dieu ! ne puis-je les serrer d’une étreinte plus sûre ? Ô Dieu ! ne puis-je en sauver un de la vague impitoyable ? Tout ce que nous voyons ou paraissons, n’est-il qu’un rêve dans un rêve ?
Stéphane Mallarmé
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TO HELEN

To Helen (Poe, 1831)
Helen, thy beauty is to me
Like those Nicean barks of yore,
That gently, o’er a perfumed sea,
The weary, wayworn wanderer bore
To his own native shore.
On desperate seas long wont to roam,
Thy hyacinth hair, thy classic face,
Thy Naiad airs have brought me home
to the glory that was Greece
And the grandeur that was Rome.
Lo! in yon brilliant window-niche
How statue-like I see thee stand,
The agate lamp within thy hand!
Ah, Psyche, from the regions which
Are Holy Land!
Edgar Poe
STANCES À HÉLÈNE
Hélène, ta beauté est pour moi comme ces barques nicéennes d’autrefois qui, sur une mer parfumée, portaient doucement le défait et las voyageur à son rivage natal.
Par des mers désespérées longtemps coutumier d’errer, ta chevelure hyacinthe, ton classique visage, tes airs de Naïade m’ont ramené ainsi que chez moi, à la gloire qui fut la Grèce, à la grandeur qui fut Rome.
Là, dans cette niche splendide d’une croisée, c’est bien comme une statue que je te vois apparaître, la lampe d’agate en la main, ah ! Psyché ! de ces régions issue qui sont terre sainte.
Stéphane Mallarmé
EULALIE

https://byronsmuse.wordpress.com/2018/10/07/edgar-allan-poe-eulalie-and-the-ideal-beloved/?fbclid=IwAR1UNZkqjHQ8jPyQMcTiS1zyQfhfSa4pOR8T9wUHbIOWPBQyVh7Jo5wjtOc
EULALIE.
I dwelt alone
In a world of moan,
And my soul was a stagnant tide,
Till the fair and gentle Eulalie became my blushing bride—
Till the yellow-haired young Eulalie became my smiling bride.
Ah, less—less bright
The stars of the night
Than the eyes of the radiant girl!
And never a flake
That the vapour can make
With the moon-tints of purple and pearl,
Can vie with the modest Eulalie’s most unregarded curl—
Can compare with the bright-eyed Eulalie’s most humble and careless curl.
Now Doubt—now Pain
Come never again,
For her soul gives me sigh for sigh,
And all day long
Shines, bright and strong,
Astarté within the sky,
While ever to her dear Eulalie upturns her matron eye—
While ever to her young Eulalie upturns her violet eye.
Edgar Allan Poe
EULALIE (en français)
J’habitais seul un monde de plaintes, et mon âme était une onde stagnante, avant que la claire et gentille Eulalie devînt ma rougissante épousée, — avant qu’avec les cheveux dorés la jeune Eulalie devînt ma souriante épousée.
Ah ! non moins brillantes les étoiles de la nuit que les yeux de la radieuse fille ! et jamais flocon que la vapeur peut faire avec les teintes pourpre et de nacre de la lune, ne peut valoir en la modeste Eulalie la plus négligée de ses tresses ! — ne peut se comparer en Eulalie les yeux brillants à la plus humble et la plus insoucieuse de ses tresses.
Maintenant le Doute, — maintenant la Peine, ne reviennent pas, car mon âme me donne soupir pour soupir ; et, tout le long du jour luit brillante et forte, Astarté dans le ciel, pendant que toujours, sur elle, la chère Eulalie lève son œil de jeune femme — pendant que toujours sur elle la jeune Eulalie lève les violettes de son œil.
Stéphane Mallarmé
TO ONE IN PARADISE

TO ONE IN PARADISE
Thou wast that all to me, love,
For which my soul did pine—
A green isle in the sea, love,
A fountain and a shrine,
All wreathed with fairy fruits and flowers,
And all the flowers were mine.
Ah, dream too bright to last!
Ah, starry Hope! that didst arise
But to be overcast!
A voice from out the Future cries,
« On! on! »—but o’er the Past
(Dim gulf!) my spirit hovering lies
Mute, motionless, aghast!
For, alas! alas! with me
The light of Life is o’er!
»No more—no more—no more— »
(Such language holds the solemn sea
To the sands upon the shore)
Shall bloom the thunder-blasted tree,
Or the stricken eagle soar!
And all my days are trances,
And all my nightly dreams
Are where thy dark eye glances,
And where thy footstep gleams—
In what ethereal dances,
By what eternal streams.
Edgar Allan Poe
A QUELQU’UN AU PARADIS
Tu étais pour moi, amour, tout ce vers quoi mon âme languissait — une île verte en mer, amour, une fontaine et un autel, enguirlandés tout de féeriques fruits et de fleurs, et toutes les fleurs à moi.
Ah ! rêve trop brillant pour durer : ah ! espoir comme une étoile, qui ne te levas que pour te voiler. Une voix du fond du Futur crie : « Va ! — va ! » — mais sur le Passé (obscur gouffre) mon esprit, planant, est muet, immobile, consterné !
Hélas ! hélas ! car pour moi la lumière de la vie est éteinte : « non ! — plus ! — plus ! — plus ! » (ce langage que tient la solennelle mer aux sables sur le rivage) ne fleurira l’arbre dévasté de la foudre, et l’aigle frappé ne surgira.
Et tous mes jours sont des extases, et tous mes songes de la nuit sont où ton œil d’ombre s’allume et luit ton pas — dans quelles danses éthérées — par quels ruissellements éternels ! uelles danses éthérées – par quels ruissellements éternels !
Stéphane Mallarmé
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BRIDAL BALLAD

BRIDAL BALLAD
The ring is on my hand,
And the wreath is on my brow;
Satin and jewels grand
Are all at my command,
And I am happy now.
And my lord he loves me well;
But, when first he breathed his vow,
I felt my bosom swell —
For the words rang as a knell,
And the voice seemed his who fell
In the battle down the dell,
And who is happy now.
But he spoke to re-assure me,
And he kissed my pallid brow,
While a reverie came o’er me,
And to the church-yard bore me,
And I sighed to him before me,
Thinking him dead D’Elormie,
« Oh, I am happy now! »
And thus the words were spoken,
And this the plighted vow,
And, though my faith be broken,
And, though my heart be broken,
Here is a ring, as token
That I am happy now!
Would God I could awaken!
For I dream I know not how!
And my soul is sorely shaken
Lest an evil step be taken, —
Lest the dead who is forsaken
May not be happy now.
Edgar Allan Poe
BALLADE DE NOCES
L’anneau est à mon doigt, et la couronne à mon front ; une profusion de satins et de joyaux est à mes ordres — et je suis heureuse maintenant.
Et, mon Seigneur, il m’aime bien ; mais quand il exhala son vœu, je sentis mon cœur se gonfler — car les mots sonnèrent comme un glas et la voix semblait la sienne, à celui qui tomba — dans la bataille au fond de la vallée — et qui est heureux maintenant.
Mais il parla de façon à me rassurer, et il baisa mon front pâle ; lorsqu’une rêverie survint et me porta au cimetière, et je soupirai, devant moi le voyant mort, d’Élormie : « Oh ! je suis heureuse maintenant ! »
Comme cela, furent dites les paroles ; comme cela fut le vœu proféré ; et, quoique je manque à ma foi et quoique le cœur me manque, regardez le gage d’or qui prouve que je suis heureuse maintenant.
Plaise à Dieu que je m’éveille ! car je ne sais pas ce que je rêve, et mon âme est douloureusement ébranlée — de la crainte qu’il y ait un mauvais pas de fait, de peur que le mort qui est délaissé ne soit pas heureux maintenant.
Stéphane Mallarmé
Scolie
Lues par Poe, ces strophes laissaient dans l’esprit une empreinte ineffaçable, se souvient Mrs Whitman. J’ajoute qu’elles ont été très fréquemment mises en musique, et qu’on les chanta dans des concerts en Angleterre.
LENORE

LENORE
Ah, broken is the golden bowl! the spirit flown forever!
Let the bell toll!—a saintly soul floats on the Stygian river;
And, Guy De Vere, hast thou no tear?—weep now or never more!
See! on yon drear and rigid bier low lies thy love, Lenore!
Come! let the burial rite be read—the funeral song be sung!—
An anthem for the queenliest dead that ever died so young—
A dirge for her the doubly dead in that she died so young.
« Wretches! ye loved her for her wealth and hated her for her pride,
« And when she fell in feeble health, ye blessed her—that she died!
« How shall the ritual, then, be read?—the requiem how be sung
« By you—by yours, the evil eye,—by yours, the slanderous tongue
« That did to death the innocence that died, and died so young? »
Peccavimus; but rave not thus! and let a Sabbath song
Go up to God so solemnly the dead may feel no wrong!
The sweet Lenore hath « gone before, » with Hope, that flew beside,
Leaving thee wild for the dear child that should have been thy bride—
For her, the fair and debonair, that now so lowly lies,
The life upon her yellow hair but not within her eyes—
The life still there, upon her hair—the death upon her eyes.
« Avaunt! to-night my heart is light. No dirge will I upraise,
« But waft the angel on her flight with a Pæan of old days!
« Let no bell toll!—lest her sweet soul, amid its hallowed mirth,
« Should catch the note, as it doth float up from the damnéd Earth.
« To friends above, from fiends below, the indignant ghost is riven—
« From Hell unto a high estate far up within the Heaven—
« From grief and groan, to a golden throne, beside the King of Heaven. »
Edgar Allan Poe
LÉNORE (en français)
Ah ! brisée est la coupe d’or ! l’esprit à jamais envolé ! Que sonne le glas ! — une âme sanctifiée flotte sur le fleuve Stygien ; et toi, Guy de Vere, n’as-tu de larmes ? pleure maintenant ou jamais plus ! Vois ! sur cette morne et rigide bière gît ton amour, Lénore ! Allons ! que l’office mortuaire se lise, le chant funèbre se chante ! Une antienne pour la morte la plus royale qui jamais soit morte si jeune, — une psalmodie pour elle, morte deux fois parce qu’elle est morte si jeune !
« Misérables ! vous l’aimiez pour sa richesse et la haïssiez pour son orgueil, et quand sa santé chancela vous la bénissiez — parce qu’elle mourait. Comment donc le rituel sera-t-il lu ? — le Requiem, chanté — par vous, — par toi, l’œil mauvais, par toi, la langue infamante, qui avez causé la mort de l’innocence qui est morte si jeune ? »
« — Peccavimus ; mais ne délire pas de la sorte ! et qu’un chant du sabbat monte à Dieu si solennellement qua la morte ne sente de mal ! La suave Lénore a “pris les devants” avec l’espoir qui volait à côté, te laissant dans l’égarement à cause de cette chère enfant qui aurait été ton épousée, — elle la belle et de grand air qui maintenant gît si profondément, la vie sur la blonde chevelure, mais pas dans les yeux, — la vie là encore, sur la chevelure, — la mort aux yeux. »
« Arrière ! ce soir j’ai le cœur léger. Je n’entonnerai de chant mortuaire, mais soutiendrai, dans son vol, l’ange par un Péan des vieux jours ! Que ne tinte de glas ! — de peur que son âme suave, parmi sa religieuse allégresse, n’en saisisse la note, comme Elle plane sur la Terre maudite. Vers les amis d’en haut, aux démons d’en bas le fantôme indigné s’arrache — à l’Enfer, vers une haute condition au loin dans les Cieux, — aux pleurs et aux plaintes, vers un trône d’or à côté du Roi des Cieux. »
Sthéphane Mallarmé
Scolie
A la morte des jeunes années dont le départ consterna pour la première fois l’imagination de l’enfant et lui communiqua peut-être la prescience de teintes funèbres irrémédiables, on doit l’inspiration aussi de ce morceau tout d’égarement et de pleurs. Les anciennes versions présentent, en effet, le nom d’Helen, au lieu de Lénore. » Le poème subit ensuite de grands changements et des améliorations dans sa structure et l’expression, et le nom de Lénore y fut introduit, selon toute apparence, pour lui prêter » – comme au Corbeau plus tard – » son effet de sonorité. Quelque peut être le sens caché dans
cette étrange et funèbre antienne, on admirera toujours le chant triomphal de sa douleur et la sombre pompe des paroles.(1) «
(1) E. Poe et ses critiques, page 52.
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ANNABEL LEE

ANNABEL LEE
It was many and many a year ago,
In a kingdom by the sea,
That a maiden there lived whom you may know
By the name of Annabel Lee;
And this maiden she lived with no other thought
Than to love and be loved by me.
I was a child and she was a child,
In this kingdom by the sea:
But we loved with a love that was more than love—
I and my Annabel Lee;
With a love that the winged seraphs of heaven
Coveted her and me.
And this was the reason that, long ago,
In this kingdom by the sea,
A wind blew out of a cloud, chilling
My beautiful Annabel Lee;
So that her highborn kinsman came
And bore her away from me,
To shut her up in a sepulchre
In this kingdom by the sea.
The angels, not half so happy in heaven,
Went envying her and me—
Yes!—that was the reason (as all men know,
In this kingdom by the sea)
That the wind came out of the cloud by night,
Chilling and killing my Annabel Lee.
But our love it was stronger by far than the love
Of those who were older than we—
Of many far wiser than we—
And neither the angels in heaven above,
Nor the demons down under the sea,
Can ever dissever my soul from the soul
Of the beautiful Annabel Lee:
For the moon never beams, without bringing me dreams
Of the beautiful Annabel Lee;
And the stars never rise, but I feel the bright eyes
Of the beautiful Annabel Lee;
And so, all the night-tide, I lie down by the side
Of my darling—my darling—my life and my bride,
In the sepulchre there by the sea,
In her tomb by the sounding sea.
Edgar Allan Poe
ANNABEL LEE (en français)
Il y a mainte et mainte année, dans un royaume près de la mer, vivait une jeune fille, que vous pouvez connaître par son nom d’Annabel Lee, et cette jeune fille ne vivait avec aucune autre pensée que d’aimer et d’être aimée de moi.
J’étais un enfant, et elle était un enfant, dans ce royaume près de la mer ; mais nous nous aimions d’un amour qui était plus que de l’amour, — moi et mon Annabel Lee ; d’un amour que les séraphins ailés des Cieux convoitaient à elle et à moi.
Et ce fut la raison qu’il y a longtemps, — un vent souffla d’un nuage, glaçant ma belle Annabel Lee ; de sorte que ses proches de haute lignée vinrent et me l’enlevèrent, pour l’enfermer dans un sépulcre, en ce royaume près de la mer.
Les anges, pas à moitié si heureux aux cieux, vinrent, nous enviant, elle et moi. Oui ! ce fut la raison (comme tous les hommes le savent dans ce royaume près de la mer) pourquoi le vent sortit du nuage la nuit, glaçant et tuant mon Annabel Lee.
Car la lune jamais ne rayonne sans m’apporter des songes de la belle Annabel Lee ; et les étoiles jamais ne se lèvent que je ne sente les yeux brillants de la belle Annabel Lee ; et ainsi, toute l’heure de nuit, je repose à côté de ma chérie, — de ma chérie, — ma vie et mon épouse, dans ce sépulcre près de la mer, dans sa tombe près de la bruyante mer.
Mais, pour notre amour, il était plus fort de tout un monde que l’amour de ceux plus âgés que nous ; — de plusieurs de tout un monde plus sages que nous, — et ni les anges là-haut dans les cieux, — ni les démons sous la mer, ne peuvent jamais disjoindre mon âme de l’âme de la très belle Annabel Lee.
Stéphane Mallarmé
Scolie
» Le dernier poème de Poe (m’a écrit mon guide Mrs Whitman), et un poème qui ne fut publié que deux mois après sa mort. » Par une coïncidence, ce sont les vers récités à haute voix à la cérémonie de l’inauguration du tombeau : tout purs, brillants, aériens qu’ils soient.
Voyez dans cet état délicieux d’enfance qui pare l’héroïne au nom chantant, le caractère distinctif de la femme de Poe, épousée à ses quinze ans, une jeune cousine, Virginie. Tout le monde s’accorde sur ce point : mais diffère dans l’explication des mots her highborn Kinsmen, ses parents d’un haut rang. Est-il question des anges qui envièrent à l’amant sa fiancée, hypothèse plausible ; ou bien des membres d’une vieille et hautaine famille imaginaire, comme celle dont l’auteur se plaît, en plusieurs de ses contes et dans le poème de la Dormeuse notamment, à évoquer la poésie pompeuse nobiliaire ?
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THE SLEEPER

Tableau de Joseph Wright of Derby (English, 1734-1797). « Lake by Moonlight with Castle on Hill, » about 1787. Oil on canvas, 58.4 x 76.3 cm. Musée des Beaux-Arts de Montréal.
THE SLEEPER
At midnight, in the month of June,
I stand beneath the mystic moon.
An opiate vapour, dewy, dim,
Exhales from out her golden rim,
And, softly dripping, drop by drop,
Upon the quiet mountain top,
Steals drowsily and musically
Into the universal valley.
The rosemary nods upon the grave;
The lily lolls upon the wave;
Wrapping the fog about its breast,
The ruin moulders into rest;
Looking like Lethe, see! the lake
A conscious slumber seems to take,
And would not, for the world, awake.
All Beauty sleeps!—and lo! where lies
(Her casement open to the skies)
Irene, with her Destinies!
Oh, lady bright! can it be right—
This window open to the night?
The wanton airs, from the tree-top,
Laughingly through the lattice drop—
The bodiless airs, a wizard rout,
Flit through thy chamber in and out,
And wave the curtain canopy
So fitfully—so fearfully—
Above the closed and fringed lid
‘Neath which thy slumb’ring soul lies hid,
That, o’er the floor and down the wall,
Like ghosts the shadows rise and fall!
Oh, lady dear, hast thou no fear?
Why and what art thou dreaming here?
Sure thou art come o’er far-off seas,
A wonder to these garden trees!
Strange is thy pallor! strange thy dress!
Strange, above all, thy length of tress,
And this all solemn silentness!
The lady sleeps! Oh, may her sleep,
Which is enduring, so be deep!
Heaven have her in its sacred keep!
This chamber changed for one more holy,
This bed for one more melancholy,
I pray to God that she may lie
Forever with unopened eye,
While the dim sheeted ghosts go by!
My love, she sleeps! Oh, may her sleep
As it is lasting, so be deep!
Soft may the worms about her creep!
Far in the forest, dim and old,
For her may some tall vault unfold—
Some vault that oft hath flung its black
And winged pannels fluttering back,
Triumphant, o’er the crested palls,
Of her grand family funerals—
Some sepulchre, remote, alone,
Against whose portal she hath thrown,
In childhood, many an idle stone—
Some tomb from out whose sounding door
She ne’er shall force an echo more,
Thrilling to think, poor child of sin!
It was the dead who groaned within.
Edgar Allan Poe
LA DORMEUSE
À minuit, au mois de juin, je suis sous la lune mystique : une vapeur opiacée, obscure, humide, s’exhale hors de son contour d’or et, doucement se distillant, goutte à goutte, sur le tranquille sommet de la montagne, glisse, avec assoupissement et musique, parmi l’universelle vallée. Le romarin salue la tombe, le lis flotte sur la vague ; enveloppant de brume son sein, la ruine se tasse dans le repos : comparable au Léthé, voyez ! le lac semble goûter un sommeil conscient et, pour le monde, ne l’éveillerait. Toute Beauté dort : et repose, sa croisée ouverte au ciel, Irène avec ses Destinées !
Oh ! dame brillante, vraiment est-ce bien, cette fenêtre ouverte à la nuit ? Les airs folâtres se laissent choir du haut de l’arbre rieusement par la persienne ; les airs incorporels, troupe magique, voltigent au dedans et au-dehors de la chambre, et agitent les rideaux du baldaquin si brusquement — si terriblement — au-dessus des closes paupières frangées où ton âme en le somme gît cachée, que le long du plancher et au bas du mur, comme des fantômes s’élève et descend l’ombre. Oh ! dame aimée, n’as-tu pas peur ? Pourquoi ou à quoi rêves-tu maintenant ici ? Sûr, tu es venue de par les mers du loin, merveille pour les arbres de ces jardins ! Étrange est ta pâleur ! étrange est ta toilette ! étrange par-dessus tout ta longueur de cheveux, et tout ce solennel silence !
La dame dort ! oh ! puisse son sommeil, qui se prolonge, de même être profond. Le Ciel la tienne en sa garde sacrée. La salle changée en une plus sainte, ce lit, en un plus mélancolique, je prie Dieu qu’elle gise à jamais sans que s’ouvre son œil, pendant qu’errent les fantômes aux plis obscurs.
Mon amour, elle dort ! oh ! puisse son sommeil, comme il est continu, de même être profond. Que doucement autour d’elle rampent les vers ! Loin dans la forêt, obscure et vieille, que s’ouvre pour elle quelque haut caveau — quelque caveau qui souvent a fermé les ailes noires de ses oscillants panneaux, triomphal, sur les tentures armoriées des funérailles de sa grande famille, — quelque sépulcre, écarté, solitaire, contre le portail duquel elle a lancé, dans sa jeunesse, mainte pierre oisive — quelque tombe hors de la porte retentissante de laquelle elle ne fera plus sortir jamais d’écho, frissonnante de penser, pauvre enfant de péché ! que c’étaient les morts qui gémissaient à l’intérieur.
Stéphane Mallarmé
Scolie
Ces vers mystérieux font partie de l’oeuvre de jeunesse. La mortelle splendeur de la figure évoquée, avec le développement du crescendo final (si on veut en prolonger à haute voix la lecture), tout concourt à faire de la Dormeuse un des morceaux les plus extraordinaires, au charme le plus sûr qui soient dans le livre.
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THE BELLS

https://mflibra.com/products/1881-rare-victorian-book-the-bells-by-edgar-allan-poe-illustrated-1?variant=31298406744200&fbclid=IwAR3PszCF857PxU7jePZKHEDfGP7s3nFSGx6I8ysBBhL-ghdkQ1T9bUVK2yM
THE BELLS
I.
Hear the sledges with the bells—
Silver bells!
What a world of merriment their melody foretells!
How they tinkle, tinkle, tinkle,
In the icy air of night!
While the stars that oversprinkle
All the heavens, seem to twinkle
With a crystalline delight;
Keeping time, time, time,
In a sort of Runic rhyme,
To the tintinabulation that so musically wells
From the bells, bells, bells, bells,
Bells, bells, bells—
From the jingling and the tinkling of the bells.
II.
Hear the mellow wedding bells,
Golden bells!
What a world of happiness their harmony foretells?
Through the balmy air of night
How they ring out their delight!
From the molten-golden notes,
And all in tune,
What a liquid ditty floats
To the turtle-dove that listens, while she gloats
On the moon!
Oh, from out the sounding cells,
What a gush of euphony voluminously wells!
How it swells!
How it dwells
On the Future! how it tells
Of the rapture that impels
To the swinging and the ringing
Of the bells, bells, bells,
Of the bells, bells, bells, bells,
Bells, bells, bells—
To the rhyming and the chiming of the bells!
III.
Hear the loud alarum bells—
Brazen bells!
What a tale of terror, now, their turbulency tells!
In the startled ear of night
How they scream out their affright!
Too much horrified to speak,
They can only shriek, shriek,
Out of tune,
In a clamorous appealing to the mercy of the fire,
In a mad expostulation with the deaf and frantic fire,
Leaping higher, higher, higher,
With a desperate desire,
And a resolute endeavor
Now—now to sit or never,
By the side of the pale-faced moon.
Oh, the bells, bells, bells!
What a tale their terror tells
Of Despair!
How they clang, and clash, and roar!
What a horror they outpour
On the bosom of the palpitating air!
Yet the ear it fully knows,
By the twanging,
And the clanging,
How the danger ebbs and flows;
Yet the ear distinctly tells,
In the jangling,
And the wrangling,
How the danger sinks and swells,
By the sinking or the swelling in the anger of the bells—
Of the bells—
Of the bells, bells, bells, bells,
Bells, bells, bells—
In the clamor and the clangor of the bells!
IV.
Hear the tolling of the bells—
Iron bells!
What a world of solemn thought their monody compels!
In the silence of the night,
How we shiver with affright
At the melancholy menace of their tone!
For every sound that floats
From the rust within their throats
Is a groan.
And the people—ah, the people—
They that dwell up in the steeple,
All alone,
And who tolling, tolling, tolling,
In that muffled monotone,
Feel a glory in so rolling
On the human heart a stone—
They are neither man nor woman—
They are neither brute nor human—
They are Ghouls:
And their king it is who tolls;
And he rolls, rolls, rolls,
Rolls
A pæan from the bells!
And his merry bosom swells
With the pæan of the bells!
And he dances, and he yells;
Keeping time, time, time,
In a sort of Runic rhyme,
To the pæan of the bells—
Of the bells:
Keeping time, time, time,
In a sort of Runic rhyme,
To the throbbing of the bells—
Of the bells, bells, bells—
To the sobbing of the bells;
Keeping time, time, time,
As he knells, knells, knells,
In a happy Runic rhyme,
To the rolling of the bells—
Of the bells, bells, bells—
To the tolling of the bells,
Of the bells, bells, bells, bells—
Bells, bells, bells—
To the moaning and the groaning of the bells.
Edgar Allan Poe
LES CLOCHES
Entendez les traîneaux à cloches — cloches d’argent ! Quel monde d’amusement annonce leur mélodie ! Comme elle tinte, tinte, tinte, dans le glacial air de nuit ! tandis que les astres qui étincellent sur tout le ciel semblent cligner, avec cristalline délice, de l’œil : allant, elle, d’accord (d’accord, d’accord) en une sorte de rythme runique, avec la « tintinnabulisation » qui surgit si musicalement des cloches (des cloches, cloches, cloches, cloches, cloches, cloches), du cliquetis et du tintement des cloches.
Entendez les mûres cloches nuptiales, cloches d’or ! Quel monde de bonheur annonce leur harmonie ! à travers l’air de nuit embaumé, comme elles sonnent partout leur délice ! Hors des notes d’or fondues, toutes ensemble, quelle liquide chanson flotte pour la tourterelle, qui écoute tandis qu’elle couve de son amour la lune ! Oh ! des sonores cellules quel jaillissement d’euphonie sourd volumineusement ! qu’il s’enfle, qu’il demeure parmi le Futur ! qu’il dit le ravissement qui porte au branle et à la sonnerie des cloches (cloches, cloches — des cloches, cloches, cloches, cloches), au rythme et au carillon des cloches !
Entendez les bruyantes cloches d’alarme — cloches de bronze ! Quelle histoire de terreur dit maintenant leur turbulence ! Dans l’oreille saisie de la nuit comme elles crient leur effroi ! Trop terrifiées pour parler, elles peuvent seulement s’écrier hors de ton, dans une clameur d’appel à la merci du feu, dans une remontrance au feu sourd et frénétique bondissant plus haut (plus haut, plus haut), avec un désespéré désir ou une recherche résolue, maintenant, de maintenant siéger, ou jamais, aux côtés de la lune à la face pâle. Oh ! les cloches (cloches, cloches), quelle histoire dit leur terreur — de Désespoir ! Qu’elles frappent et choquent, et rugissent ! Quelle horreur elles versent sur le sein de l’air palpitant ! encore l’ouïe sait-elle, pleinement par le tintouin et le vacarme, comment tourbillonne et s’épanche le danger ; encore l’ouïe dit-elle, distinctement, dans le vacarme et la querelle, comment s’abat ou s’enfle le danger, à l’abattement ou à l’enflure dans la colère des cloches, dans la clameur et l’éclat des cloches !
Entendez le glas des cloches — cloches de fer ! Quel monde de pensée solennelle comporte leur monodie ! Dans le silence de la nuit que nous frémissons de l’effroi ! à la mélancolique menace de leur ton. Car chaque son qui flotte, hors la rouille en leur gorge — est un gémissement. Et le peuple — le peuple — ceux qui demeurent haut dans le clocher, tous seuls, qui sonnant (sonnant, sonnant) dans cette mélancolie voilée, sentent une gloire à ainsi rouler sur le cœur humain une pierre — ils ne sont ni homme ni femme — ils ne sont ni brute ni humain — ils sont des Goules : et leur roi, ce l’est, qui sonne ; et il roule (roule — roule), roule un Péan hors des cloches ! Et son sein content se gonfle de ce Péan des cloches ! et il danse, et il danse, et il hurle : allant d’accord (d’accord, d’accord) en une sorte de rythme runique, avec le tressaut des cloches — (des cloches, cloches, cloches) avec le sanglot des cloches ; allant d’accord (d’accord, d’accord) dans le glas (le glas, le glas) en un heureux rythme runique, avec le roulis des cloches — (des cloches, cloches, cloches) avec la sonnerie des cloches — (des cloches, cloches, cloches, cloches, cloches — cloches, cloches, cloches) — le geignement et le gémissement des cloches.
Stéphane Mallarmé
Scolie
CHANSON
De ces poèmes, le seul effectivement intraduisible ! non pas (comme d’autres) en raison de l’atmosphère spéciale de passion ou de rêverie qu’il émane : je crois que cette impalpable richesse ne se perd pas tout entière au passage d’une langue à l’autre, bref qu’il est un démon pour les traducteurs. La difficulté, quant à une oeuvre si nette et si sonnante d’effets purement imitatifs mais toujours dotés de poésie première, gît en l’emploi de certains procédés de répétition qui, contenus par le rythme originel, se défont et comme s’égrènent dans une version en prose. Force m’a été de transcrire ces séries de répétitions seulement parmi des parenthèses ; et comme des indications que le
lecteur ne lira qu’avec les yeux, plutôt que des mots réels ajoutant leur vertu au texte français. Qui voudrait se faire une idée de l’enchantement produit par la phrase anglaise, doit se procurer le très singulier et très heureux essai d’imitation des Cloches, d’un de nos très rares poëtes, connaissant bien l’anglais, M. Emile Blémont. Le vers, chez lui, a pu, s’éloignant du calque strict habituel à notre version, transposer d’une langue à l’autre, tels timbres jumeaux, et témoigner d’une ingéniosité bien faite pour réjouir Poe lui-même.
Ce morceau des Cloches n’obtint son ampleur, qu’après avoir subi deux refontes dans le laboratoire du poète : j ai sous la main et crois pouvoir donner l’esquisse ou premier jet.
Les cloches ! entendez les cloches ! les cloches joyeuses de noces ! les petites cloches d’argent ! Comme féerique une mélodie s’enfle là hors de prisons tintant l’argent, des cloches, cloches, cloches ! des cloches. Les cloches ! ah ! les cloches ! les lourdes cloches de fer ! Entendez le heurt des cloches ! Entendez le glas ! Quelle horrible monodie flotte hors de leur gosier – de leur gosier à la voix profonde ! Comme je tressaille aux notes qui partent du gosier mélancolique des cloches, cloches, cloches ! des cloches !
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THE HAPPIEST DAY

THE happiest day—the happiest hour
My sear’d and blighted heart hath known,
The highest hope of pride and power,
I feel hath flown.
Of power! said I? yes! such I ween;
But they have vanished long, alas!
The visions of my youth have been—
But let them pass.
And, pride, what have I now with thee?
Another brow may even inherit
The venom thou hast pour’d on me—
Be still, my spirit.
The happiest day—the happiest hour
Mine eyes shall see—have ever seen,
The brightest glance of pride and power,
I feel—have been:
But were that hope of pride and power
Now offer’d, with the pain
Even then I felt—that brightest hour
I would not live again:
For on its wing was dark alloy.
And as it flutter’d—fell
An essence—powerful to destroy
A soul that knew it well.
Edgar Allan Poe
STANCES
La journée la plus heureuse, l’heure la plus heureuse, mon cœur atteint et fané l’a connue. — Le plus haut espoir d’orgueil et de puissance, je sens qu’il est passé.
De puissance ! dis-je ? oui ! je me le figure, mais il y a longtemps que c’est évanoui ; hélas ! les visions de la jeunesse ont été, qu’elles fuient.
Orgueil, qu’ai-je maintenant à faire avec toi ? Un autre front peut bien hériter du poison que tu m’as versé : sois tranquille, mon esprit.
Le jour le plus heureux, l’heure la plus heureuse que verront mes yeux, sont vus déjà. Le regard le plus brillant vers l’orgueil et la puissance, je le sens, il a eu lieu :
Mais que cet espoir d’orgueil et de forces s’offrît maintenant avec la peine alors sentie ; cette heure très brillante, je ne voudrais la revivre. —
À son aile s’alliait de l’ombre et, quand elle a volé, tomba une essence, puissante — pour détruire une âme qui la savait.
Stéphane Mallarmé
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DREAM-LAND

DREAM-LAND
By a route obscure and lonely,
Haunted by ill angels only,
Where an Eidolon, named Night,
On a black throne reigns upright,
I have reached these lands but newly
From an ultimate dim Thule—
From a wild weird clime that lieth, sublime,
Out of Space—out of Time.
Bottomless vales and boundless floods,
And chasms, and caves, and Titan woods,
With forms that no man can discover
For the dews that drip all over;
Mountains toppling evermore
Into seas without a shore;
Seas that restlessly aspire,
Surging, unto skies of fire;
Lakes that endlessly outspread
Their lone waters—lone and dead,—
Their still waters—still and chilly
With the snows of the lolling lily.
By the lakes that thus outspread
Their lone waters, lone and dead,—
Their sad waters, sad and chilly
With the snows of the lolling lily,—
By the mountains—near the river
Murmuring lowly, murmuring ever,—
By the grey woods,—by the swamp
Where the toad and the newt encamp,—
By the dismal tarns and pools
Where dwell the Ghouls,—
By each spot the most unholy—
In each nook most melancholy,—
There the traveller meets aghast
Sheeted Memories of the Past—
Shrouded forms that start and sigh
As they pass the wanderer by—
White-robed forms of friends long given,
In agony, to the Earth—and Heaven.
For the heart whose woes are legion
’Tis a peaceful, soothing region—
For the spirit that walks in shadow
’Tis—oh ’tis an Eldorado!
But the traveller, travelling through it,
May not—dare not openly view it;
Never its mysteries are exposed
To the weak human eye unclosed;
So wills its King, who hath forbid
The uplifting of the fringed lid;
And thus the sad Soul that here passes
Beholds it but through darkened glasses.
By a route obscure and lonely,
Haunted by ill angels only,
Where an Eidolon, named Night,
On a black throne reigns upright,
I have wandered home but newly
From this ultimate dim Thule.
Edgar Allan Poe
TERRE DE SONGE
Par une sombre route déserte, hantée de mauvais anges seuls, où une Idole, nommée Nuit, sur un trône noir règne debout, je ne suis arrivé en ces terres-ci que nouvellement d’une extrême et vague Thulé, — d’un étrange et fatidique climat qui gît, sublime, hors de l’Espace, hors du Temps.
Insondables vallées et flots interminables, vides et souterrains, et bois de Titans avec des formes qu’aucun homme ne peut découvrir à cause des rosées qui perlent au-dessus ; montagnes tombant à jamais dans des mers sans nul rivage ; mers qui inquiètement aspirent, y surgissant, aux cieux en feu ; lacs qui débordent incessamment de leurs eaux calmes, — calmes et glacées de la neige des lis inclinés.
Dans les lacs qui ainsi débordent de leurs eaux solitaires, solitaires et mortes — leurs eaux tristes, tristes et glacées de la neige des lis inclinés — par les montagnes — par les bois gris — par le marécage où s’installent le crapaud et le lézard — par les flaques et les étangs lugubres — où habitent les Goules — en chaque lieu le plus décrié — dans chaque coin le plus mélancolique : partout le voyageur rencontre effarées, les Réminiscences drapées du Passé — formes ensevelies qui reculent et soupirent quand elles passent près du promeneur, formes aux plis blancs d’amis rendus il y a longtemps, par l’agonie, à la Terre — et au Ciel.
Pour le cœur dont les maux sont légion, c’est une pacifique et calmante région. — Pour l’esprit qui marche parmi l’ombre, c’est — oh ! c’est un Eldorado ! Mais le voyageur, lui, qui voyage au travers, ne peut — n’ose pas la considérer ouvertement. Jamais tel mystère ne s’expose aux faibles yeux humains qui ne sont point fermés ; ainsi le veut son roi, qui a défendu d’y lever la paupière frangée ; et aussi l’Âme en peine qui y passe, ne le contemple qu’à travers des glaces obscurcies.
Par une sombre route nue, hantée de mauvais anges seuls, où une Idole, nommée Nuit, sur un trône noir règne debout, j’ai erré avant de ne revenir que récemment de cette extrême et vague Thulé.
Stéphane Mallarmé
Scolie
Même remarque pour Terre de Songe que pour la Vallée de l’Inquiétude et la Cité en la Mer. Cette imagination, l’une de celles qui expriment le mieux, par la présence de certaines teintes morbides ou funestes, les ultima thule, régions extrêmes, de l’esprit (comme si la gloire d’y être parvenu ne s’affirmait chez l’homme que par la maladie et la destruction de sa nature !) est aux Poëmes écrits dans la jeunesse.
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Mallarmé et Poe

Mallarmé et Poe : « la personne analogue »
http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/?mallarme-et-poe-la-personne.html
LE TOMBEAU D’EDGAR POE
Tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change,
Le Poëte suscite avec un glaive nu
Son siècle épouvanté de n’avoir pas connu
Que la mort triomphait dans cette voix étrange !
Eux, comme un vil sursaut d’hydre oyant jadis l’ange
Donner un sens plus pur aux mots de la tribu
Proclamèrent très haut le sortilège bu
Dans le flot sans honneur de quelque noir mélange.
Du sol et de la nue hostiles, ô grief !
Si notre idée avec ne sculpte un bas-relief
Dont la tombe de Poe éblouissante s’orne
Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur
Que ce granit du moins montre à jamais sa borne
Aux noirs vols du Blasphème épars dans le futur.
Stéphane Mallarmé
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