Tombeau poétique

Le Jour ni l’Heure – tombes d’Olivier Larronde, 1927-1965, et de Stéphane Mallarmé, 1842-1898, au cimetière de Samoreau, Seine-&-Marne

Le Tombeau poétique est un genre littéraire qui trouve ses origines dans les épitaphes grecques.

  1. Avant la Renaissance
  2. À la Renaissance
  3. Désuétude
  4. Renaissance du genre
  5. Poèmes
    1. Le tombeau d’Edgar Poe – Mallarmé
    2. Le tombeau de Verlaine – Mallarmé
    3. Le tombeau de Baudelaire – Mallarmé
  6. Agenda
    1. 8 septembre 2024 : 126e anniversaire de la mort de Mallarmé
  7. Voir aussi
Avant la Renaissance

Dès le début de l’humanité, on a honoré les morts et protégé leur dépouille mortelle des charognards ; les tombes les plus anciennes datent des hominidés : sépulture de Téviec (VIe millénaire av. J.-C.). Avec l’écriture, apparaissent des inscriptions funéraires sur les tombes, grecques par exemple, mais aussi des glyphes sur les tombes mayas.

Les épitaphes sont souvent gravées sur les tombes, mais quelques-unes se trouvent dans des anthologies : Callimaque de Cyrène dans l’Anthologie palatine Quelqu’un, ô Héraclite, m’a dit ton trépas ; Poèmes épigraphiques latins Carmina Latina Epigraphica5.<

Au Moyen Âge, une des épitaphes poétiques les plus connues est la Ballade des pendus de François Villon, dont le titre exact est L’ÉPITAPHE EN FORME DE BALLADE QUE FEIT VILLON POUR LUY & SES COMPAGNONS, S’ATTENDANT A ESTRE PENDU AVEC EUX. De moins célèbres sont gravées dans la pierre, à Melle (Deux-Sèvres).

À la Renaissance

Le tombeau poétique est un recueil collectif qu’on peut dire composé de plusieurs épitaphes. Les poètes y sont honorés et célébrés par leurs pairs ; le Tombeau poétique est aussi destiné à un roi, une reine, ou une personne proche de la famille royale.

  • Tombeau de Joachim du Bellay Épitaphes sur le trespas de Joachim du Bellay Angevin, Poete Latin et Francois, Paris, Robert Estienne, 1560.
  • Le Tombeau de P. de Ronsard gentilhomme vendômois.
  • Tombeau de Marguerite de Navarre.
  • Epitaphe sur le trespas du Roy Treschrestien Henri Roy de France, II de ce nom, en douze langues. A treshault et trespuissant prince Philippe Roy d’Espaigne. Aultres epitaphes par plusieurs Auteurs sur le trespas du mesme Roy.

Ces tombeaux honorent aussi la mémoire d’un proche disparu. Camille de More dans un Tumulus (Tombeau) a composé des poèmes en mémoire de son père Jean de Morel, sa mère Antoinette de Loynes et ses sœurs Lucrèce et Diane ; elle a demandé la participation de poètes amis de ses parents.

La raison d’être de ces tombeaux était multiple ; rendre hommage à un disparu, célèbre ou proche ; montrer son érudition (les poèmes étaient rédigés en latin, grec, hébreu, traduits du latin en grec, du grec en latin ou en français -voir par exemple le Tombeau de Marguerite de Valois Royne de Navarre-) ; causer une émulation entre auteurs :

« Ces dernières lignes mettent en évidence l’intérêt réciproque dont pouvaient faire preuve les poètes dans le processus d’élaboration d’un Tombeau. Cet intérêt, qu’on peut bien sûr imputer à la curiosité intellectuelle, au plaisir de goûter et de faire goûter des vers en exclusivité, suggère néanmoins du même coup l’existence de conditions favorables à l’instauration d’un réel rapport d’émulation entre les collaborateurs. »

— Joël Castonguay-Bélanger : L’édification d’un Tombeau poétique : du rituel au recueil

se faire connaître pour obtenir une reconnaissance et parfois un mécénat :

« L’étude de quatre ouvrages à la mémoire d’Hugues Salel (1554), Jean de La Péruse (1555), Henri II et du Bellay (1560) et Ronsard (1586) fait apparaître une double motivation chez les organisateurs de ce type d’hommage : sociale (attirer l’attention de protecteurs influents, susceptibles d’employer eux-mêmes leurs compétences ou de les introduire à la Cour) et littéraire (bénéficier de l’autorité du défunt en détournant à leur profit le capital symbolique accumulé par ce dernier ; afficher leur appartenance au groupe des poètes reconnus et dans certains cas, rémunérés). »

— Amaury Flegès : Les tombeaux littéraires en France à la Renaissance, 1500-1589

Désuétude

Lors des périodes baroqueprécieuse et au siècle des Lumières, les Tombeaux vont tomber en désuétude, remplacés par des Consolations, ou des épigrammes plus ou moins caustiques :

Tandis que les épitaphes perdurent (Henriette de la Suze Sur un gros poète, Épitaphe), les Romantiques s’épancheront dans des élégies : Victoire Babois Élégies sur la mort de sa fille âgée de 5 ans ; Alfred de Musset Lucie, élégie ; Consolation de Sully Prudhomme.

Renaissance du genre

À la fin du XIXe siècle le Tombeau poétique réapparaît sous sa forme collective de la Renaissance (à la différence que la seule langue y est le français) ; ainsi le Tombeau de Charles Baudelaire.

Le Tombeau de Théophile Gautier réunit plus de quatre-vingt poètes.

Le Tombeau d’Edgar Poe n’a qu’un seul auteur, Stéphane Mallarmé.

Cette tradition d’un monument poétique se poursuit au XXe siècle : Tombeau de Gérard Philipe de Henri PichetteQuelque chose noir de Jacques Roubaud, où celui-ci revient sur l’expérience du deuil de sa femme Alix Cleo Roubaud ; ou encore La Mort de l’aimé de Jean Ristat, où celui-ci, sous le signe de Marceline Desbordes-Valmore, autrice des Pleurs, va placer sa voix dans l’expérience du deuil de son compagnon Philippe. Nancy Huston publie Tombeau de Romain Gary (1995), hommage lucide à l’écrivain.

Un autre exemple de tombeau poétique, celui à Jean Sénac proposé par le poète Hélios Radresa.

Au XXe siècle, c’est Michel Deguy qui écrira un autre Tombeau de du Bellay ; pour Chantal Mauduit morte en pleine ascension au Népal, André Velter confie ses poèmes à la voix d’Alain Carré et au piano de François-René Duchâble. Le Printemps des Poètes ouvre deux pages de Tombeaux poétiques d’auteurs contemporains. En 2015, Serge PeyTombeau pour un miaulement, poème critique et philosophique sur Mao Zedong (Gruppen). En 2018, Jean-Louis Rambour publie Tombeau de Christopher Falzone (Editions L’Herbe qui tremble) en hommage au jeune pianiste qui se suicida à Genève en 2014, à l’âge de 29 ans.

Source https://fr.wikipedia.org/wiki/Tombeau_po%C3%A9tique

Poèmes

Le tombeau d’Edgar Poe – Mallarmé



Tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change,
Le Poëte suscite avec un glaive nu
Son siècle épouvanté de n’avoir pas connu
Que la mort triomphait dans cette voix étrange !

Eux, comme un vil sursaut d’hydre oyant jadis l’ange
Donner un sens plus pur aux mots de la tribu
Proclamèrent très haut le sortilège bu
Dans le flot sans honneur de quelque noir mélange.

Du sol et de la nue hostiles, ô grief !
Si notre idée avec ne sculpte un bas-relief
Dont la tombe de Poe éblouissante s’orne

Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur
Que ce granit du moins montre à jamais sa borne
Aux noirs vols du Blasphème épars dans le futur.

Stéphane Mallarmé

Voir la page https://artetculturefontainebleau.fr/edgar-allan-poe/

Le tombeau de Verlaine – Mallarmé



Le noir roc courroucé que la bise le roule
Ne s’arrêtera ni sous de pieuses mains
Tâtant sa ressemblance avec les maux humains
Comme pour en bénir quelque funeste moule.

Ici presque toujours si le ramier roucoule
Cet immatériel deuil opprime de maints
Nubiles plis l’astre mûri des lendemains
Dont un scintillement argentera la foule.

Qui cherche, parcourant le solitaire bond
Tantôt extérieur de notre vagabond —
Verlaine ? Il est caché parmi l’herbe, Verlaine

À ne surprendre que naïvement d’accord
La lèvre sans y boire ou tarir son haleine
Un peu profond ruisseau calomnié la mort.

Stéphane Mallarmé.

Stéphane Mallarmé (1842-1898)
Recueil : Poésies (1899).

Voir aussi http://www.maulpoix.net/tombeau.html

et Mallarmé et Verlaine

Le tombeau de Baudelaire – Mallarmé

Le temple enseveli divulgue par la bouche
Sépulcrale d’égout bavant boue et rubis
Abominablement quelque idole Anubis
Tout le museau flambé comme un aboi farouche

Ou que le gaz récent torde la mèche louche
Essuyeuse on le sait des opprobres subis
Il allume hagard un immortel pubis
Dont le vol selon le réverbère découche

Quel feuillage séché dans les cités sans soir
Votif pourra bénir comme elle se rasseoir
Contre le marbre vainement de Baudelaire

Au voile qui la ceint absente avec frissons
Celle son Ombre même un poison tutélaire
Toujours à respirer si nous en périssons.

Stéphane Mallarmé

Voir aussi le recueil https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Tombeau_de_Charles_Baudelaire_(recueil)

et https://artetculturefontainebleau.fr/artistes-du-pays-de-fontainebleau/poetes-du-pays-de-fontainebleau/charles-baudelaire/

Agenda
8 septembre 2024 : 126e anniversaire de la mort de Mallarmé

Voir aussi

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