
Proust et le téléphone (Fontainebleau)

Le samedi 17 décembre 2016 à 15h30, Romain Villet, essayiste et romancier prononcera une conférence intitulée « Marcel Proust et le téléphone » à l’hôtel de Londres de Fontainebleau, c’est-à-dire à l’endroit même où résidait l’auteur de A la recherche du temps perdu quand il a découvert le téléphone. Il évoquera les nombreux échos et retentissements de cette découverte tant dans son œuvre que dans sa vie et montrera notamment comment le téléphone est à l’éloignement dans l’espace ce que la petite madeleine est à l’éloignement dans le temps.
Parce qu’entre Proust et la musique existent des liens indéfectibles, il sera accompagné au piano par Jean Dubé et au violon par Gabriel Drossart qui joueront des œuvres de l’époque de Proust.
N’hésitez ni à venir ni à le faire savoir.
Renseignements, tarifs et réservations auprès de l’association « Faites
entrer les musiciens »:
Proust, le téléphone et la modernité
Depuis peu « A la recherche du temps perdu » est passée dans le domaine public. A cette occasion nous avons cherché à savoir comment Proust, mort en 1922,
témoin d’un monde en mutation, avait fait place dans son oeuvre à une technique nouvelle : le téléphone.
Non seulement il en fait un signe de modernité, mais encore il lui donne une signification romanesque. Le téléphone devient un élément essentiel de fiction.
« L’électricité ne met pas moins de temps à conduire à notre oreille penchée sur un cornet téléphonique une voix pourtant bien éloignée, que la mémoire, cet autre élément puissant de la nature qui, comme la lumière ou l’électricité, dans un mouvement si vertigineux qu’il nous semble un repos immense, une sorte d’omniprésence, est à la fois partout autour de la terre, aux quatre coins du monde où palpitent sans cesse des ailes gigantesques, comme un de ces anges que le Moyen-Age imaginait ». (M. Proust. « Jean Santeuil ») FRANCE TELECOM 64, Janvier 1988 Par Patrice CARRE |
En savoir plus : http://jean.godi.free.fr/histoire/proust.htm

Un téléphonage
A l’époque de Proust, téléphoner exigeait de passer par une opératrice, fonction occupée par des jeunes fille qui devaient être célibataires. Celles-ci faisaient fantasmer certains abonnés. Voici une page d’anthologie, un peu ronflante et très ironique, sur les vertus du téléphone et les qualités attribuées à ces « Vierges Vigilantes ».
Un matin, Saint–Loup m’avoua, qu’il avait écrit à ma grand’mère pour lui donner de mes nouvelles et lui suggérer l’idée, puisque un service téléphonique fonctionnait entre Doncières et Paris, de causer avec moi. Bref, le même jour, elle devait me faire appeler à l’appareil et il me conseilla d’être vers quatre heures moins un quart à la poste. Le téléphone n’était pas encore à cette époque d’un usage aussi courant qu’aujourd’hui. Et pourtant l’habitude met si peu de temps à dépouiller de leur mystère les forces sacrées avec lesquelles nous sommes en contact que, n’ayant pas eu ma communication immédiatement, la seule pensée que j’eus ce fut que c’était bien long, bien incommode, et presque l’intention d’adresser une plainte. Comme nous tous maintenant, je ne trouvais pas assez rapide à mon gré, dans ses brusques changements, l’admirable féerie à laquelle quelques instants suffisent pour qu’apparaisse près de nous, invisible mais présent, l’être à qui nous voulions parler, et qui restant à sa table, dans la ville qu’il habite (pour ma grand’mère c’était Paris), sous un ciel différent du nôtre, par un temps qui n’est pas forcément le même, au milieu de circonstances et de préoccupations que nous ignorons et que cet être va nous dire, se trouve tout à coup transporté à des centaines de lieues (lui et toute l’ambiance où il reste plongé) près de notre oreille, au moment où notre caprice l’a ordonné. Et nous sommes comme le personnage du conte à qui une magicienne, sur le souhait qu’il en exprime, fait apparaître dans une clarté surnaturelle sa grand’mère ou sa fiancée, en train de feuilleter un livre, de verser des larmes, de cueillir des fleurs, tout près du spectateur et pourtant très loin, à l’endroit même où elle se trouve réellement. Nous n’avons, pour que ce miracle s’accomplisse, qu’à approcher nos lèvres de la planchette magique et à appeler—quelquefois un peu trop longtemps, je le veux bien—les Vierges Vigilantes dont nous entendons chaque jour la voix sans jamais connaître le visage, et qui sont nos Anges gardiens dans les ténèbres vertigineuses dont elles surveillent jalousement les portes ; les Toutes–Puissantes par qui les absents surgissent à notre côté, sans qu’il soit permis de les apercevoir : les Danaïdes de l’invisible qui sans cesse vident, remplissent, se transmettent les urnes des sons ; les ironiques Furies qui, au moment que nous murmurions une confidence à une amie, avec l’espoir que personne ne nous entendait, nous crient cruellement : « J’écoute » ; les servantes toujours irritées du Mystère, les ombrageuses prêtresses de l’Invisible, les Demoiselles du téléphone !Et aussitôt que notre appel a retenti, dans la nuit pleine d’apparitions sur laquelle nos oreilles s’ouvrent seules, un bruit léger—un bruit abstrait—celui de la distance supprimée—et la voix de l’être cher s’adresse à nous.
C’est lui, c’est sa voix qui nous parle, qui est là. Mais comme elle est loin ! Que de fois je n’ai pu l’écouter sans angoisse, comme si devant cette impossibilité de voir, avant de longues heures de voyage, celle dont la voix était si près de mon oreille, je sentais mieux ce qu’il y a de décevant dans l’apparence du rapprochement le plus doux, et à quelle distance nous pouvons être des personnes aimées au moment où il semble que nous n’aurions qu’à étendre la main pour les retenir. Présence réelle que cette voix si proche—dans la séparation effective ! Mais anticipation aussi d’une séparation éternelle ! Bien souvent, écoutant de la sorte, sans voir celle qui me parlait de si loin, il m’a semblé que cette voix clamait des profondeurs d’où l’on ne remonte pas, et j’ai connu l’anxiété qui allait m’étreindre un jour, quand une voix reviendrait ainsi (seule et ne tenant plus à un corps que je ne devais jamais revoir) murmurer à mon oreille des paroles que j’aurais voulu embrasser au passage sur des lèvres à jamais en poussière. (Guer 132/135)
Source : https://proust-personnages.fr/extraits-2/morceaux-choisis/un-telephonage/
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