
Née Christina Maria Gehrard, Marie Mallarmé (1835-1910) est l’épouse du poète. Mallarmé en tombe amoureux en 1862 à Sens, par erreur pourrait-on dire. Il la croit anglaise (il vit alors dans un milieu très anglophile) alors qu’elle est allemande… Mallarmé, qui n’est pas encore majeur, l’« enlève » à Londres. S’ensuivent de nombreuses tribulations sentimentales avec fuites, réconciliations, larmes, mariage.
En 1864, à Tournon, la « petite Marie » donne naissance à Geneviève et devient « la jeune mère allaitant son enfant » de Brise Marine. En 1871, elle met au monde leur second enfant, Anatole, qui meurt à huit ans. Elle ne se remettra jamais de ce deuil.
Marie se referme sur elle-même. De santé fragile, elle est veillée par sa fille, désormais unique, Geneviève, qui peu à peu remplace « petite mère » dans les lettres échangées avec Mallarmé entre Paris et Valvins.
Lettre de Stéphane Mallarmé à Maria Gerhard (1862)
Mallarmé tombe sous le charme de Marie en 1862, à Sens, alors qu’il n’est pas majeur. Cette lettre d’amour adolescente, pour celle qui sera pourtant sa future femme, nous surprend par sa transparence et sa simplicité, rares chez le poète hermétique.
Mademoiselle,
Voici plusieurs jours que je ne vous ai vue.
A mesure qu’une larme tombait de mes yeux, il était doux à ma tristesse que je prisse une feuille de papier et je (sic) je m’efforçasse d’y traduire ce que cette larme contenait d’amertume, d’angoisse, d’amour, et, je le dirai franchement, d’espérance.
Aujourd’hui, elles ne sont plus faites que de désespoir. Ces lettres, je les gardais et je les entassais chaque matin, pensant à vous les remettre en osant croire, non pas que vous les liriez toutes, mais simplement que vous jetteriez les yeux au hasard sur quelques phrases, et que vous enivre et qu’on ressent lorsqu’on est aimé.
Ce rayon devrait faire ouvrir en votre cœur la fleur bleue mystérieuse, et le parfum qui naîtrait de cet épanouissement, espérais-je, ne serait pas ingrat.
Je le respirerais !
On l’appelle l’amour, ce parfum.
Aujourd’hui, la désillusion est presque venue et j’ai brûlé ces lettres qui étaient les mémoires d’un cœur.
Du reste, elles étaient trop nombreuses, et cela vous eût fait rire de voir que je vous aimais tant !
Je les remplace, ces sourires et ces soupirs, par ce papier banal et vague que je vous remettrai je ne sais quand et Dieu sait où ! Toute la gamme de ma passion ne sera pas scrupuleusement notée, comme elle l’était, je me contenterai d’écrire ici les trois phrases qui sont toute son harmonie « Je t’aime ! Je t’adore ! Je t’idolâtre ».
– Pardonnez-moi, ô ma reine, de vous avoir tutoyée dans cette litanie extatique. C’est que, voyez-vous, je suis comme fou, et égaré depuis quelques jours. Quand une flèche se plante dans une porte, la porte vibre longtemps après : un trait d’or m’a frappé, et je tremble, éperdu.
Retirez-le ou enfoncez-le plus avant, mais ne vous amusez pas à en fouiller mon cœur. Dites oui ou non, mais parlez. Répondez ! Cela vous amuse donc bien de me faire souffrir ? Je pleure, je me lamente, je désespère. Pourquoi cette sévérité ? Est-ce un crime de vous aimer ? Vous êtes adorable et vous voulez qu’on vous trouve détestable, car il faudrait vous trouver détestable pour ne pas vous aimer, – vous qui êtes un regard divin et un sourire céleste !
Vous êtes punie d’être un ange : je vous aime. Pour me punir à mon tour de vous aimer, il faudrait n’être plus un ange, et vous ne le pouvez pas.
Donc laissez-moi vous contempler et vous adorer, – et espérer !
Adieu, je vous embrasse avec des larmes dans les yeux : séchez-les avec un baiser, ou un sourire au moins.
Je vous aime ! Je vous aime ! C’est tout ce que je sache dire et penser.
Ecrivez par la poste à cette adresse – « Monsieur SM. – Poste restante, à Sens » – cela me parviendra ainsi. J’attends ma sentence.
J’irai encore vous voir au Lycée, je suis heureux de vous voir, même de loin, il me semble, quand vous tournez la rue, que je vois un fantôme de lumière et tout rayonne.
Stéphane
Eventail de Madame Mallarmé
