
LA RAMEUSE
Ouverte sur le fleuve, l’âme saisie de ses rames
Demande au corps docile, des paisibles environs
La lente traversée respirée d’avirons,
En la barque enchanteuse qui sans cesse fend la lame.
Peu à peu s’émerveille la rameuse qui bat,
De coups lourds et profonds les noires et tristes ondes,
Echos de l’eau à l’ombre du désespoir du monde,
Et songe au clair poème qui se chante tout bas.
Aux lisières de la berge, des saules ondulent leur moire
Dans le calme miroir qui de leurs fils déplie
Les mystérieuses entraves de l’étrave accomplie,
Glissant dans l’abysse sans fond de la mémoire.
Si peu apparaissent ces jours lascifs qui n’ont
Que l’âpre volonté de briser les défenses
De l’homme effrayé du retour de l’enfance,
Ces temps plein d’innocence où naissent les premiers noms.
Aspirées du vertige qu’exhale en continu
Le langage trop obscur de flots à peine troublés
Quelques fois de belles âmes, en la rive ensablées,
S’échouent et s’abandonnent à l’Amour inconnu.
Des bulles de secret percent nonchalamment
la surface sans rides et pigmentent la soie
D’une tapisserie de lumière et de joie
Au motif révélé du subtil changement.
Alors glisse à nouveau la barque qui emporte
A l’infini du large niant toutes les nuits
Trop pesamment lestées des silences de l’ennui,
Et du dernier barrage passe la Grande Porte.
NB. Les coups de rames de ce poème en rimes riches embrassées sont reprises du magnifique poème de Paul Valery intitulé le « rameur ». Paul Valery, immense poète qui siège tel un dieu dans l’Olympe de la poésie française et que nul ne pourra jamais égaler, à peine approcher, comme on n’approche que de loin les sommets d’une montagne bien trop altière.
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