
Poser le bon acte au bon moment
ou
« saisir l’occasion aux cheveux« »« (en grec ancien : καιρὸν ἁρπάζειν)
- Le Kairos
- Le kairos dans le christianisme
- Bas-relief du dieu Kairos par Lysippe
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Le Kairos
Le kairos (καιρός) est un concept qui, adjoint à l’aiôn et au chronos, permet, sinon de définir le temps, du moins de situer les événements selon cette dimension. Faire le bon acte au bon moment participe au Kaïros. Pour ce qui est de la pensée occidentale, le concept de kairos apparaît chez les Grecs sous les traits d’un petit dieu ailé de l’opportunité, qu’il faut attraper quand il passe (saisir une opportunité).
Définition
Le kairos est le temps du moment opportun. Il qualifie un intervalle, ou une durée précise, importante, voire décisive.
Dans le langage courant, on parlerait de point de basculement décisif, avec une notion d’un avant et d’un après au sens de Jankélévitch (voir plus bas). Le kairos est donc « l’instant T » de l’opportunité : avant est trop tôt, et après trop tard.
In fine, l’expression « instant d’inflexion » semble convenir : « Maintenant est le bon moment pour agir. »
Pour le pseudo–Aristote, « Le mélancolique est l’homme du kairos, de la circonstance. »
Le kairos, une dimension du temps n’ayant rien à voir avec la notion linéaire de chronos (temps physique), pourrait être considéré comme une autre dimension du temps créant de la profondeur dans l’instant. Une porte sur une autre perception de l’univers, de l’événement, de soi. Une notion immatérielle du temps mesurée non pas par la montre, mais par le ressenti.
Le dieu grec Kairos est représenté par un jeune homme qui ne porte qu’une touffe de cheveux sur la tête. Quand il passe à notre proximité, il y a trois possibilités :
- on ne le voit pas ;
- on le voit et on ne fait rien ;
- au moment où il passe, on tend la main, on « saisit l’occasion aux cheveux » (en grec ancien : καιρὸν ἁρπάζειν) et on saisit ainsi l’occasion.
Kairos a donné en latin opportunitas (opportunité, saisir l’occasion).
Le kairos dans divers domaines
Le kairos est un temps dont le discernement est primordial dans beaucoup de domaines :
- la philosophie et la phénoménologie,
- la médecine,
- la politique,
- la stratégie,
- la théologie ,
- la psychologie.
Du local vers le temporel, en passant par la juste mesure, le kairos a eu de nombreuses significations plus ou moins établies et compatibles. On le traduit souvent par « occasion », mais le terme ne restitue que très partiellement une notion riche de tous ses déplacements. Il n’est pas possible de trouver un terme français équivalent qui puisse marquer toutes les parentés que la notion grecque a connues.
Le kairos opère la rencontre de deux problèmes : celui de l’action et celui du temps. Toutes ses acceptions ne sont pas temporelles (notamment celles qui se rapportent à la « juste mesure » et la « convenance »), mais elles contiennent et complètent les germes d’une signification spécifiquement temporelle. Le kairos implique une vision du temps qui puisse se concilier avec une exigence d’efficacité de l’action humaine. Le kairos est un moment, mais si on comprend « moment » uniquement comme une durée mesurable qui s’étend d’un point A à un point B, on est certain de le rater. Il est d’autant plus tentant de parler d’un temps propre au kairos que les Grecs en ont fait une divinité temporelle souvent associée, voire confondue, avec Chronos.
Le kairos se rattache à un certain type d’actions qui doivent être accomplies « à temps » et ne tolèrent ni le retard, ni l’hésitation. Si la notion de kairos est indissociable du mot grec, elle est aussi indissociable d’un contexte qui est celui de la Grèce des ve et ive siècles av. J.-C. À une époque où l’action devient autonome et ne dépend plus de la volonté divine, la nécessité d’observer le kairos s’est dégagée pour les Grecs de leurs expériences dans de multiples domaines, à savoir selon Monique Trédé-Boulmer :
- en philosophie, le Kairos ou « temps kairologique » a pris une très grande importance dans le courant phénoménologique notamment chez Martin Heidegger. Ses recherches ont aussi conduit à réhabiliter ce vieux concept de temps notamment en Théologie avec les travaux de Rudolf Bultmann.
- le domaine politique : dans l’Histoire de la guerre du Péloponnèse, Thucydide fait une place importante aux kairoi qui traversent l’Histoire, ces moments qui engagent le sort des cités : déclarations de guerre, négociations ou ruptures d’alliances…
- en rhétorique, « le kairos est le principe qui gouverne le choix d’une argumentation, les moyens utilisés pour prouver et, plus particulièrement, le style adopté », il désigne aussi le moment où il faut attirer l’attention des auditeurs pour accomplir un retournement de persuasion ;
- en théologie, le Kairos est l’action de Dieu à un moment particulier du continu du temps humain (le Chronos), invitant une action (réponse) humaine opportune concomitante.
- le domaine artistique : c’est l’infime nuance, la minime correction, qui fait l’œuvre réussie, c’est devenu, par voie de conséquence, le moment où un artiste doit s’arrêter et laisser son œuvre vivre sa propre vie ;
- le domaine médical : les hippocratiques ont dégagé la notion de crise, instant critique où la maladie évolue vers la guérison ou la mort, c’est à ce moment précis que l’intervention du médecin prend un caractère nécessaire et décisif ;
- le domaine militaire : le bon stratège sait que la victoire n’est pas une simple question de supériorité numérique et qu’il y a un moment où l’attaque portée sur l’adversaire amènera la panique et donnera une issue définitive à la bataille ;
- le domaine moral : chez les tragiques, le kairos nous préserve de la démesure et nous enseigne qu’il faut respecter la convenance – dans les traités éthiques d’Aristote, le sens de la notion se réduit pour devenir la catégorie du Bien selon le temps.
- le domaine de la navigation, où le kairos, associé avec Tyché, permet au navigateur de se diriger en déjouant les pièges de la mer, c’est plus particulièrement dans ce contexte que l’on trouve la mètis, ou intelligence de la ruse ;
Le kairos a donc un très large champ d’application. Hésiode nous dit qu’il est « tout ce qu’il y a de mieux » et Euripide que c’« est le meilleur des guides dans toutes entreprises humaines ». Il n’est cependant pas donné à tout le monde de le saisir ; il appartient au spécialiste qui, ayant des connaissances générales, est capable d’y intégrer les facteurs du moment, qui vont lui permettre de saisir la particularité de la situation. Le kairos relève d’un raisonnement et il n’est pas soumis au jeu du hasard. Pourtant, il joue un rôle décisif dans les situations imprévisibles et inhabituelles.
Toutes les acceptions de kairos ne sont pas directement liées au temps, mais toutes sont liées à l’efficacité. Quel que soit le domaine envisagé – médecine, stratégie, rhétorique… –, il renverse les situations et leur donne une issue définitive : la vie ou la mort, la victoire ou la défaite. Il est la condition de l’action réussie et il nous apprend que, paradoxalement, la réussite tient à presque rien. S’il est si difficile de le définir, cela vient aussi de ce qu’il relève du « presque rien ».
Il échappe constamment aux définitions qu’on essaye de lui appliquer, parce qu’il se trouve toujours à la jointure de deux notions : l’action et le temps, la compétence et la chance, le général et le particulier. Il n’est jamais tout entier d’un côté ou d’un autre. Cette indétermination est liée à son pouvoir de décision. Il retient pour chaque cas les éléments pertinents pour agir, mais il ne se confond pas avec eux. Il est « libre » de changer, et c’est pour cela qu’il est aussi difficile à saisir dans la pratique qu’à comprendre dans la théorie.
Fortuna de Machiavel
Un Prince digne de ce nom se devait, déclara Machiavel, de faire preuve de virtù dans les circonstances imprévisibles de l’action politique. La virtù qui, faisant fond sur le libre-arbitre et sur les habiletés — propres, en grande partie, à l’art de la guerre — du Prince, se rapproche bien plus du kairos que de la fortuna ; celle-ci étant, au point de vue du Prince, bien plus mauvaise que bonne. Et Machiavel d’avoir interdit au Prince de « prier » pour que le sort lui fût favorable, c’est-à-dire d’abdiquer son libre-arbitre et de s’en remettre à une fortuna, complètement aveugle dans son déploiement.
Sous l’angle de la sémiosis, les exégètes des textes de Machiavel — et surtout du Prince et des Discours sur la première décade de Tite-Live — en ont, alors, pu dégager le concept d’« occasion ». À dire vrai, l’occasion est implicite à ladite virtù et fait écho au kairos, d’autant que le Prince, loin d’être passif comme ses sujets qui, somme toute, sont réduits au rang d’objet du projet politique, se doit de conserver le pouvoir et de l’accroître en prenant les bonnes initiatives, en saisissant les bonnes occasions, en ayant le goût du risque, en sachant faire preuve de ruse et de force devant les circonstances changeantes de l’État, en un mot : de savoir user du kairos. En ce sens, occasion et kairos sont synonymes.
Chez Nietzsche
Dans Par-delà bien et mal, 274, Nietzsche évoque le καιρός : « Le « Raphaël sans mains », ce mot pris au sens le plus large, serait-il dans le domaine du génie, non pas l’exception, mais la règle ? – Le génie n’est peut-être pas si rare ! mais il lui manque les cinq cents mains nécessaires pour maîtriser le Kairos, le « moment propice », pour saisir l’occasion aux cheveux ! »
Kairos et synchronicité en psychologie analytique
Le kairos est une notion employée par Carl-Gustav Jung pour élaborer son concept de synchronicité. Il est l’instant où la conscience d’un individu exprime une sensibilité particulière à la survenance concomitante de deux évènements fortuits. Cet individu opère à ce moment une association entre ces deux évènements en raison d’un état de son être. La coïncidence, alors perçue comme une correspondance, devient signifiante pour la personne qui l’éprouve. L’expérience du kairos relatée par l’analysant constitue un évènement spécifique au sein du processus psychothérapique.
Sources
https://fr.wikipedia.org/wiki/Kairos
Le kairos dans le christianisme
« Le temps [kairos] est accompli et le règne de Dieu s’est approché… ». Mc 1:15
Dans son sens biblique, le kairos est le moment choisi par Dieu pour l’accomplissement de son dessein, le moment particulier de l’action divine. Dans son éternité, Dieu ne connaît pas le ‘chronos’ (c’est-à-dire: le ‘temps continu’) mais bien le ‘kairos’, qui est le moment de son intervention dans le temps humain.
Cette intervention n’est pas obvie. L’épaisseur du temps humain et les multiples préoccupations de l’homme font qu’il lui est nécessaire de faire preuve de discernement et de sagesse pour reconnaître dans sa vie (ou celle du monde) le kairos divin.
Ainsi, dans le Nouveau Testament, Jésus commence-t-il sa première prédication (Mc 1:15) : « Le temps [kairos] est accompli et le règne de Dieu s’est approché… ». Le mot ‘kairos’ revient 86 fois pour indiquer un ‘moment’, une ‘saison’, surtout celle de la moisson (le moment est arrivé), tandis que le mot ‘chronos’, qui indique une certaine ‘quantité’ de temps, tel une ‘journée’ ou une ‘heure’, est utilisé 54 fois (par ex. Ac 13:18, Ac 27:9). En Jn 7:6, Jésus fait une distinction entre son ‘moment’ personnel et celui de ses disciples, son ‘kairos’ n’étant pas encore arrivé, tandis que celui des disciples (également ‘kairos’) est désormais là, présent, qui est de s’instruire auprès du maître et d’écouter sa parole, de se rendre toujours disponible à l’instruction, que ce soit dans la répétition et la continuité que dans l’inattendu et le surprenant.
L’apôtre Paul continue. La perception du kairos, moment divin opportun, invite à l’urgence (2 Co 6:2) : «Voici maintenant le moment [kairos] tout–à-fait favorable. Voici maintenant le jour du salut». Il faut choisir et agir, et sans tarder.
Au début de la Divine Liturgie des Églises orientales (orthodoxes ou catholiques), le diacre s’adresse au prêtre pour dire : « Καιρός του ποιήσα τω Κυρίω’», [Kairos tou poièsa to Kurio]» (‘C’est le moment [kairos] de l’action du Seigneur ») avertissant que la liturgie est à la croisée du temps de l’action humaine et du temps de Dieu (Éternité).
Certains théologiens ont étendu le sens biblique du mot ‘kairos’ à certains moments ou tournants majeurs dans l’histoire de l’Église universelle (ou d’églises particulières), considérés comme particulièrement marqués de la grâce divine.
Dans son interprétation de l’histoire du Salut, le théologien luthérien Paul Tillich utilise fréquemment le concept biblique. La venue du Christ dans l’histoire humaine est le ‘kairos’ par excellence. D’autres moments, de crises ou d’ouverture particulière dans l’histoire, ont appelé à des décisions existentielles humaines parce qu’elles y ont perçu le moment divinement choisi.
En philosophie, certains philosophes, particulièrement Martin Heidegger, ont emprunté la conception biblique du kairos – en ce cas le kairos eschatologique (parousie – moment choisi par Dieu pour le retour du Christ à la fin des temps) – pour lui donner une application séculière.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Kairos_(christianisme)
Bas-relief du dieu Kairos par Lysippe
Voici ce que j’ai trouvé.
l’ Epigramme de Posidippe sur la sculpture de kairos (temps) de Lysippe. Pausanias se réfère à Lysippe.
Page 4 du fichier https://www.ucl.ac.uk/classics/sites/classics/files/Joseph_Day.pdf?fbclid=IwAR0eO0PsBLRvjAKzAU6fxE68jm0vPr2ce_5A09H8nugseGWj9QaYpYNYRB4
α. τίς πόθεν ὁ πλάστης; β. Σικυώνιος. α. οὔνομα δὴ τίς;
β. Λύσιππος. α. σὺ δὲ τίς; β. καιρὸς ὁ πανδαμάτωρ.
α. τίπτε δ᾽ ἐπ᾽ ἄκρα βέβηκας; β. ἀεὶ τροχάω. α. τί δὲ ταρσοὺς
ποσσὶν ἔχεις διφυεῖς; β. Ἵπταμ᾽ ὑπηνέμιος.
α. χειρὶ δὲ δεξιτερῇ τί φέρεις ξυρόν; β. ἀνδράσι δεῖγμα,
ὡς ἀκμῆς πάσης ὀξύτερος τελέθω.
α. ἡ δὲ κόμη, τί κατ᾽ ὄψιν; β. Ὑπαντιάσαντι λαβέσθαι.
α. νὴ Δία, τἀξόπιθεν δ᾽ εἰς τί φαλακρὰ πέλει;
β. τὸν γὰρ ἅπαξ πτηνοῖσι παραθρέξαντά με ποσσὶν
οὔτις ἔθ᾽ ἱμείρων δράξεται ἐξόπιθεν.
α. τοὔνεχ᾽ ὁ τεχνίτης σε διέπλασεν; β. εἵνεκεν ὑμέων,
ξεῖνε: καὶ ἐν προθύροις θῆκε διδασκαλίην.
Voici ma traduction – je n’ai rien trouvé en français sur Remacle
-D’où vient ton créateur ? -De Sicyone.-
-Et quel est son nom ? -Lysippe.
Et toi, qui es-tu ? Le temps tout-puissant.
Et pourquoi ta marche est si légère ? -Parce que je cours tout le temps.
Et pourquoi as-tu des ailes doubles sur tes talons ? -Je vole avec le vent. (Je vole comme le vent)
Et pourquoi portes-tu un tranchant dans ta main droite ? -Pour montrer aux hommes que je suis plus tranchant que tout ce qui est tranchant.
Et pourquoi ta coiffe est ramenée vers ton visage ? -Pour que celui qui me rencontre puisse m’attraper. Nom de Zeus!!!
– Pourquoi à l’arrière tu es chauve? -Parce que si quelqu’un ne m’a pas attrapé de face alors qu’il me rencontre, personne ne peut plus m’attraper une fois que je suis parti, même si c’est sa volonté
Dans quel but l’artiste t’ a-t-il créé ? -Pour toi, étranger, c’est pour toi qu’il l’a fait, et il m’a placé devant pour t’enseigner.
Articles
B. Baert : “Kairos ou l’Occasion comme paradigme dans le médium visuel”

https://hasard.hypotheses.org/3632
Radio France : Qu’est-ce que le «kairos» ?
Le terme «kairos» a été employé par un médecin en confrontation avec Emmanuel Macron ; mais à quoi renvoie le concept philosophique du kairos, d’où vient-il et comment l’utiliser ?
J’ai été interpellée par un mot, et ce mot, c’est «kairos». Fascinée par ce concept philosophique qui désigne l’occasion à saisir – et qu’on croise peu en dehors des salles de classe, des livres d’Aristote – il a été employé par un médecin face à Emmanuel Macron, alors le Président s’était rendu à La Pitié-Salpêtrière au tout début de l’épidémie de Covid-19.
- Que veut dire le terme «kairos» et à quel moment l’employer ?
- En parler, n’est-ce pas déjà le manquer ?
Définition du «kairos» ou la source des ruminations
Qu’est-ce que le «kairos» ? L’occasion est assez rare pour la saisir et pour se demander ce qu’il veut dire. Habituellement, le «kairos» désigne le bon moment, d’instant T ou d’opportunité à saisir. Ces définitions sont des paraphrases qui font penser à des publicités pour des marques de sport ou à des slogans pour faire des placements financiers, des avancements de carrière.
Discussions

Michaël Vinson En grec on a aussi le Dieu Κρόνος (Cronos) (le fils du ciel (Οὐρανός) et de la déesse Γαῖα (terre), une des surnoms de Zeus est Κρονίδης (fils du ciel – fils du dieu Οὐρανός)
On a aussi « χρόνος » le temps l’espace de temps
Kαιρός est surtout employé aujourd’hui pour le temps météorologique et dans certains cas comme synonyme de χρόνος – Cependant Pausanias mentionne qu’il existait un autel du Dieu Kαιρός à Olympie près de l’entrée du stade à côté de celui de l’Hermès protecteur des JO
Voici la mention de Pausanias en grec ancien
Τῆς εἰσόδου δὲ τῆς ἐς τὸ στάδιόν εἰσιν ἐγγύτατα βωμοὶ δύο • τὸν μὲν αὐτῶν Ἑρμοῦ καλοῦσιν ἐναγωνίου , τὸν δὲ ἕτερον Καιροῦ . (Ἑλλάδος περιήγησις – Ἠλιακῶν Α – V.14.9)
