Quand des catholiques remettent en cause sacrements et sacerdoce… sans quitter l’Église
Catégories : Catholicisme, Protestantisme, Vatican II, Synodalité, France
Mots-clés : cafétéria catholique, protestantisation, ordination des femmes, présence réelle, sacerdoce universel, cléricalisme, synode
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Présentation
On entend souvent parler des catholiques qui deviennent protestants, surtout en Amérique latine où le phénomène est massif. Mais il existe un autre mouvement, plus discret et presque invisible en Europe : des catholiques qui, tout en restant formellement romains, adoptent des positions très proches de la Réforme sur les points les plus sensibles – les sacrements et le sacerdoce.
On appelle cela la « cafétéria catholique » ou, plus crûment, la protestantisation silencieuse du catholicisme.
1. Un phénomène mondial, mais surtout occidental
Dans le Sud global (Brésil, Guatemala, Afrique subsaharienne…), les catholiques qui veulent une foi plus directe, plus chaleureuse ou plus biblique changent carrément d’Église : ils deviennent évangéliques ou pentecôtistes.
En Europe et en France, ils restent. Ils ne partent pas. Ils réforment de l’intérieur, à la carte.
2. Les sacrements vus « à la protestante »
- L’Eucharistie
En France, parmi les catholiques pratiquants (ceux qui vont à la messe au moins une fois par mois), environ 40 % considèrent aujourd’hui l’Eucharistie comme un simple mémorial symbolique plutôt que comme la présence réelle du Christ (Ifop-OFC, juin 2025). C’est exactement la position des Églises issues de la Réforme (luthériens mis à part). - La confession
Seuls 15 à 20 % des catholiques français se confessent encore au moins une fois par an. La majorité estime que l’on peut demander pardon directement à Dieu, sans passer par un prêtre – une conviction typiquement protestante.
3. Le sacerdoce contesté
- Ordination des femmes
65 % des catholiques français (et jusqu’à 75 % chez les pratiquants occasionnels) souhaitent que des femmes deviennent prêtres (Ifop 2025). C’est plus que dans bien des Églises protestantes historiques il y a cinquante ans. - Célibat des prêtres
70 % veulent le rendre optionnel. Un quart des prêtres français eux-mêmes doutent aujourd’hui de son opportunité (Ifop-RCF, octobre 2025). - Sacerdoce universel
De plus en plus de fidèles et de communautés mettent en avant le « sacerdoce commun des baptisés » (texte de Vatican II) pour justifier que des laïcs (hommes ou femmes) président des célébrations, prononcent des homélies ou bénissent des unions en l’absence de prêtre. Ce qui était impensable il y a trente ans devient pratique courante dans certaines paroisses rurales.
4. Les visages français de cette « Réforme douce »
- Le Réseau du Parvis et les associations comme Chrétiens en liberté ou Nous Sommes l’Église
- Les contributions très critiques du Synode sur la synodalité (2021-2024) où 150 000 catholiques français ont réclamé ces changements
- Des paroisses qui célèbrent déjà des « assemblées dominicales en l’absence de prêtre » (ADAP) animées par des laïcs, parfois des femmes, avec distribution de la communion pré-consacrée
5. Pourquoi « silencieuse » ?
Parce que personne ne crie « Ich bin protestant ! ».
- On reste sur les registres paroissiaux.
- On baptise et marie ses enfants à l’église catholique.
- On ne se fait pas rebaptiser ailleurs.
- Les évêques, pour éviter le schisme, préfèrent fermer les yeux tant que la rupture n’est pas publique.
C’est une Réforme sans Luther placardant ses 95 thèses, sans rupture bruyante, sans nouveau baptême. Une Réforme qui se vit dans les têtes, dans les pratiques, dans les sondages… et qui avance à pas de loup.
Conclusion
Le catholicisme français n’est plus majoritaire (41 % des Français se disent encore catholiques en 2025, contre 80 % en 1960), mais parmi ceux qui restent, une part croissante vit une foi qui, sur les deux piliers historiques qui séparent Rome de la Réforme – sacrements et sacerdoce – ressemble de plus en plus à… du protestantisme light.
La question n’est plus seulement « combien de catholiques deviennent protestants ? », mais « combien de catholiques restent catholiques tout en pensant déjà comme des protestants ? »
La cafétéria catholique est ouverte 7 jours sur 7. Et elle ne désemplit pas.
Contributions
Quand la cafétéria catholique devient un restaurant à part entière : les vieux-catholiques
Certains ont franchi le pas que la majorité des « cafétéria catholiques » n’ose pas encore faire.
Les vieux-catholiques (Église catholique-chrétienne) sont nés en 1870 du refus du dogme de l’infaillibilité pontificale et de la primauté juridictionnelle universelle du pape voté à Vatican I. Ils ont conservé la succession apostolique, les sept sacrements et une liturgie très catholique, mais appliquent depuis 150 ans presque tout ce que les catholiques progressistes français réclament aujourd’hui dans les sondages :
- Messe en français depuis la fin du XIXe siècle (bien avant Vatican II)
- Prêtres mariés dès l’origine
- Ordination des femmes (prêtres depuis 1996 dans la plupart des diocèses)
- Bénédiction des couples homosexuels (Suisse, Allemagne, Autriche)
- Communion ouverte à tous les baptisés (y compris protestants)
- Confession facultative
En France, ils sont environ 2 000, très discrets, avec leur principale paroisse à Paris (Église Saint-Pierre-et-Saint-Paul, 19e arrondissement).
Ils incarnent la version institutionnelle et assumée de ce que beaucoup vivent aujourd’hui de façon privée et silencieuse : un catholicisme fidèle à la tradition sacramentelle et apostolique… mais sans le pape, sans célibat obligatoire et sans sacerdoce exclusivement masculin.
Les vieux-catholiques sont la preuve vivante que la « protestantisation silencieuse » peut, quand on va jusqu’au bout, donner naissance à une Église catholique… simplement plus romaine.
Les gallicans : le bistrot français du catholicisme sans Rome
Si les vieux-catholiques représentent le restaurant bien structuré et international, les gallicans sont le bistrot de quartier typiquement français : plus petit, plus libre, souvent familial et farouchement indépendant.
L’esprit gallican n’est pas né d’hier : il plonge ses racines dans les libertés de l’Église gallicane du Moyen Âge et du XVIIIe siècle (refus de l’ultramontanisme, primauté des conciles sur le pape, élection des évêques par le chapitre, etc.). Après Vatican I et surtout au XXe siècle, plusieurs évêques et prêtres français ont repris ce flambeau en refusant à la fois la centralisation romaine et certaines évolutions post-Vatican II.
Aujourd’hui, la branche la plus connue et la plus stable est l’Église catholique gallicane (siège à Paris, archevêque-primat actuel : Mgr Dominique Philippe). Ses traits distinctifs :
- Liturgie très traditionnelle : messe souvent en latin avec chant grégorien, lectures et prédication en français
- Prêtres mariés autorisés (beaucoup le sont)
- Ordination de femmes possible dans certaines branches (mais pas systématique)
- Évêques élus par le synode ou le clergé, jamais nommés par Rome
- Théologie « catholique ancienne » : sept sacrements, succession apostolique, transsubstantiation, culte des saints et de la Vierge… mais refus catégorique de la primauté juridictionnelle et de l’infaillibilité pontificale
- Forte coloration patriotique et républicaine : on y célèbre parfois la messe pour la France et on défend la laïcité à la française
- Anti-ultramontanisme viscéral : « Nous sommes catholiques, mais pas romains »
Implantations concrètes (2025) :
- Chapelle principale à Paris 15e (rue Lecourbe) – messe dominicale régulière
- Communautés à Bordeaux, Toulouse, en Bretagne et quelques petites missions en province
- Effectif total : quelques centaines de fidèles actifs
Les gallicans incarnent donc la version la plus « terroir » du catholicisme indépendant : on y trouve la beauté de la liturgie traditionnelle, la liberté gallicane historique et la conviction qu’on peut être pleinement catholique… sans avoir besoin du Vatican pour exister.
Existe-t-il une union des Églises catholiques indépendantes (non romaines) ?
Oui, il existe bel et bien des Églises ou communautés qui se revendiquent catholiques mais qui sont indépendantes de Rome (c’est-à-dire non en communion avec le pape et le Saint-Siège). Elles sont souvent appelées « catholiques indépendants », « catholiques non romains » ou « vieux-catholiques » selon leur origine.
1. L’Union d’Utrecht des Églises vieilles-catholiques
- La plus ancienne et la plus structurée.
- Fondée en 1889 après le refus du dogme de l’infaillibilité pontificale (Vatican I).
- Membres : Pays-Bas, Suisse, Allemagne, Autriche, Pologne, République tchèque, etc.
- En France : présence très réduite (quelques communautés historiques).
- Caractéristiques : liturgie et doctrine très proches du catholicisme pré-Vatican I, clergé marié autorisé, ordination de femmes et bénédiction des couples homosexuels dans plusieurs pays membres. En communion avec les anglicans.
2. Églises catholiques indépendantes plus récentes (France & francophonie)
- Église catholique apostolique gallicane
- Union des Églises catholiques apostoliques (UECA)
- Église catholique apostolique évangélique (ACAE)
- Église catholique apostolique orthodoxe de France
- Diverses branches gallicanes ou issues de lignées épiscopales indépendantes
3. Groupes traditionalistes stricts
Certains sédévacantistes ou semi-sédévacantistes se considèrent aussi comme les « vrais » catholiques (ex. CMRI, Institut Mater Boni Consilii), mais ils refusent généralement de se mélanger aux mouvements ci-dessus.
Y a-t-il une « union » globale ?
Non, il n’existe pas d’union mondiale unique comparable au CNEF évangélique. Il y a seulement des réseaux nationaux ou régionaux et des relations fraternelles ponctuelles.
En résumé : oui, ces Églises catholiques non romaines existent, elles sont nombreuses (surtout très petites), théologiquement variées (du très libéral au très traditionaliste) et actives, même si elles restent peu visibles du grand public.