La culture pour tous

Racida Dati visite le château de Fontainebleau

Commentaires sur quelques points fondamentaux du discours de Rachida Dati https://www.culture.gouv.fr/Presse/Discours/Discours-de-Rachida-Dati-lors-de-la-passation-de-pouvoir-avec-Rima-Abdul-Malak-le-12-janvier-2024

« Il est important que la culture soit accessible à tous, en particulier aux jeunes. » Rachida Dati

Après le coup de barre à droite par la visite à Fontainebleau de la nouvelle ministre de la Culture Rachida Dati, et visant à faire oublier le malheureux « il n’y a pas de culture française » du président Macron, voici la novlangue socialiste de « la culture pour tous » qui revient au devant de la scène. A droite et à gauche « en même temps ».

Ainsi, et sans jamais savoir de quoi il retourne, il est décrété que la culture se doit d’être « accessible à tous ». Pourtant, jamais dans l’histoire de l’humanité la culture n’a été aussi accessible, car d’un simple clic sur internet chacun peut accéder à toutes les plus grandes œuvres de l’humanité. Et pourtant jamais non plus l’art et la culture n’ont été autant inaccessibles. Car il faut faire la distinction entre accéder techniquement à un contenu et y accéder véritablement, soit le comprendre. Or la compréhension dépend essentiellement de l’éducation, et ici de l’éducation artistique qui est, nous le savons, ce qui fait le plus défaut à l’école. L’art véritable, celui qui demande une « initiation » selon Gainsbourg, est donc au final inaccessible. Ainsi, pour que la culture soit réellement accessible il est nécessaire de repenser du tout au tout l’éducation à l’école. C’est-à-dire faire en sorte que tous les jours, parce que l’art est une discipline difficile, il y ait des cours de poésie, de dessin et de peinture, de sculpture, de musique, et bien sûr d’écriture littéraire. Soit au moins la moitié de la journée.

Si l’école veut que les jeunes retrouvent le chemin de l’art elle doit en faire des artistes. Mais en a-t-elle seulement la volonté et qui, en son sein, serait capable d’assurer une véritable formation artistique de nos jours? Ne rêvons pas, cela ne se fera pas. D’autant que la crétinisation des élèves est volontaire (lire  » La fabrique du crétin  – la mort programmée de l’école » de Jean Paul Brighelli pour mieux s’en persuader). Nous avons donc à faire ici à un discours politique superficiel et creux qui ne fait que tenter de se donner un peu de contenu, en terme d’image.

« Il nous faut bâtir une nouvelle culture populaire pour tous, des quartiers à la ruralité. » Rachida Dati

Encore un poncif socialiste qui n’a aucun sens et dont l’expérience a montré que cela ne pouvait aboutir, parce qu’il n’y a pas de culture populaire et donc encore moins de « nouvelle culture populaire ». Je ne parle pas ici de la culture traditionnelle qui peut être comprise comme culture populaire, mais de ce dont il est question avec Rachida Dati, soit de la « culture personnelle ». En effet, la culture implique un travail personnel qui permet justement de s’affranchir de l’appartenance à un « peuple » pour devenir un être pensant et créateur autonome. Soit un solitaire qui, plus il est cultivé, ne fera que rencontrer du rejet de la part du troupeau. Et nous pouvons en faire l’expérience en permanence car :

“La société de masse ne veut pas la culture mais les loisirs” Hannah Arendt 

Rachida Dati aura beau faire, ses beaux discours se heurteront à cette réalité, et ainsi, comme tous les ministres de la culture qui l’ont précédée, elle ne fera rien, si ce n’est administrer cette armée de fonctionnaires qui caractérise la culture et qui sont eux-mêmes les pires ennemis des créateurs. Nous le savons depuis longtemps, l’art et la culture n’ont pas besoin d’un ministère et sa suppression serait la chose la plus salutaire qui soit. Mais l’usage est là et restera. Et rien ne changera. Si ce n’est que la déculturation de la société, déjà vertigineuse, ira en s’approfondissant.

Pour ce qui concerne cette étrange appellation de « nouvelle culture populaire » et « qu’il faudrait bâtir », c’est ne pas comprendre ce qu’est la culture, qui est essentiellement de l’ordre de la transmission et du partage. Elle peut se conprendre avant tout comme dialogue avec le passé et faculté à s’enraciner dans une culture qui nous est propre selon notre histoire, tout en se hissant au niveau de l’universel. Il ne peut donc y avoir de « nouvelle culture populaire », ni surtout de « culture qui serait à bâtir », mais une culture qui ne cesse, ou devrait ne cesser, d’évoluer. Même si aujourd’hui nous sommes clairement dans un chemin de déculturation et donc de décivilisation. Disons que l’utilisation du mot « nouveau » aurait pour but de tenter de donner un peu de nouveauté à cette même réalité qui se répète de l’incapacité de comprendre en profondeur les problèmes et ainsi de tenter de les résoudre. Ce qui n’a d’ailleurs aucune importance car personne ne relèvera, comme a peu près personne ne s’arrêtera à ce discours. Cela fait longtemps que les discours, à force de n’exister que pour cacher l’absence de toute action, n’intéressent plus personne.

Nous pouvons le dire, l’art pour tous est au final l’art pour personne, parce que ce concept implique de le rendre « accessible au plus grand nombre » et ainsi de niveler par le bas, comme la politique de Jack Lang l’a bien mis en pratique. Résultat, l’art a été avalé par le divertissement.  Il conviendrait ainsi d’initier le mouvement inverse soit d’élever les esprits plutôt que d’abaisser l’art pour le rendre « accessible ». Et cela ne peut se faire que via une véritable éducation artistique.

Ceci-dit, et si l’engagement pour une pédagogie large et ouverte est une chose essentielle pour le destin d’une civilisation, il ne faudra jamais perdre de vue que sur le fond, l’art est fondamentalement élitiste, ce qu’a bien compris Mallarmé quand il dit dans son texte critique sur ce thème : « L’homme peut être démocrate, l’artiste se dédouble et doit rester aristocrate. »

Comme tout ce qui est absolument beau, la poésie force l’admiration ; mais cette admiration sera lointaine, vague, — bête, elle sort de la foule. Grâce à cette sensation générale, une idée inouïe et saugrenue germera dans les cervelles, à savoir, qu’il est indispensable de l’enseigner dans les collèges, et irrésistiblement, comme tout ce qui est enseigné à plusieurs, la poésie sera abaissée au rang d’une science. Elle sera expliquée à tous également, égalitairement, car il est difficile de distinguer sous les crins ébouriffés de quel écolier blanchit l’étoile sibylline.

Lire l’article complet:  Hérésies artistiques – L’art pour tous. Mallarmé

Et si l’art n’était pas élitiste alors il n’y aurait plus besoin d’écrire à chaque nouveau ministre de la culture le même texte et nous vivrions dans un monde tout autre où la beauté, la vérité et la bonté seraient valeurs cardinales. Un monde où l’intelligence véritable et le génie créateur seraient sans cesse mis en avant plutôt que, comme aujourd’hui, sans cesse passés au pilon de la médiocrité.

Michaël Vinson

Jacqueline de Romilly en tenue d’académicienne :
https://www.academie-francaise.fr/les-immortels/jacqueline-de-romilly

Apprendre à penser, à réfléchir, à être précis, à peser les termes de son discours, à échanger les concepts, à écouter l’autre, c’est être capable de dialoguer, c’est le seul moyen d’endiguer la violence effrayante qui monte autour de nous. La parole est le rempart contre la bestialité. Quand on ne sait pas, quand on ne peut pas s’exprimer, quand on ne manie que de vagues approximations, comme beaucoup de jeunes de nos jours, quand la parole n’est pas suffisante pour être entendue, pas assez élaborée parce que la pensée est confuse et embrouillée, il ne reste que les poings, les coups, la violence fruste, stupide, aveugle. Et c’est ce qui menace d’engloutir notre idéal occidental et humaniste.

Jacqueline de Romilly

Voir aussi :

Animation <> création culturelle

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