Mallarmé et la danse

  1. Le corps dansant chez Mallarmé : une quête d’absolu
  2. Ballets
  3. Loïe Fuller
  4. Les fonds dans le ballet

Le corps dansant chez Mallarmé : une quête d’absolu

Résumé :

Le corps, entité mystérieuse et complexe étudiée depuis toujours, se transforme chez Mallarmé en la figure féminine d’une danseuse. Dépourvu de tout aspect matériel et tangible, il devient un tourbillon évanescent, sensation visuelle vague et indéfinie qui se répand dans les vers et dans la langue en changeant leur structure profonde. La métaphore de la danseuse, instrument poétique et source d’inspiration, contribue à la création d’une poésie nouvelle, anticipatrice des avant-gardes du XXe siècle.

https://fr.scribd.com/document/419866189/Le-Corps-Dansant-Chez-Mallarme-Une-Quete-de-l-Absolu-Nouvelle-Fribourg

Ballets

… À savoir que la danseuse n’est pas une femme qui danse…

BALLETS

La Cornalba me ravit, qui danse comme dévêtue ; c’est-à-dire que sans le semblant d’aide offert à un enlèvement ou à la chute par une présence volante et assoupie de gazes, elle paraît, appelée dans l’air, s’y soutenir, du fait italien d’une moelleuse tension de sa personne.

Tout le souvenir, non ! du spectacle à l’Éden, faute de Poésie : ce qu’on nomme ainsi, au contraire, y foisonne, débauche aimable pour l’esprit libéré de la fréquentation des personnages à robes, habit et mots célèbres. Seulement le charme aux pages du livret ne passe pas dans la représentation. Les astres, eux-mêmes, lesquels j’ai pour croyance que, rarement, il faut déranger pas sans raisons considérables de méditative gravité (ici, selon l’explication, l’Amour les meut et les assemble) je feuillette et j’apprends qu’ils sont de la partie ; et l’incohérent manque hautain de signification qui scintille en l’alphabet de la Nuit va consentir à tracer le mot VIVIANE, enjôleurs nom de la fée et titre du poème, selon quelques coups d’épingle stellaires en une toile de fond bleue : car le corps de ballet, total ne figurera autour de l’étoile (la peut-on mieux nommer !) la danse idéale des constellations. Point ! de là on partait, vous voyez dans quels mondes, droit à l’abîme d’art. La neige aussi dont chaque flocon ne revit pas au va-et-vient d’un blanc ballabile ou selon une valse, ni le jet vernal des floraisons : tout ce qui est, en effet, la Poésie, ou nature animée, sort du texte pour se figer en des manœuvres de carton et l’éblouissante stagnation des mousselines lie et feu. Aussi dans l’ordre de l’action, j’ai vu un cercle magique par autre chose dessiné que le tour continu ou les lacs de la fée même : etc. Mille détails piquants d’invention, sans qu’aucun atteigne à une importance de fonctionnement avéré et normal, dans le rendu. Quelqu’un jamais, notamment au cas sidéral précité, avec plus d’héroïsme passa-t-il outre la tentation de reconnaître en même temps que des analogies solennelles, cette loi, que le premier sujet, hors cadre, de la danse soit une synthèse mobile, en son incessante ubiquité, des attitudes de chaque groupe : comme elles ne la font que détailler, en tant que fractions, à l’infini. Telle, une réciprocité, dont résulte l’in-individuel, chez la coryphée et dans l’ensemble, de l’être dansant, jamais qu’emblème point quelqu’un..

Le jugement, ou l’axiome, à affirmer en fait de ballet !

À savoir que la danseuse n’est pas une femme qui danse, pour ces motifs juxtaposés qu’elle n’est pas une femme, mais une métaphore résumant un des aspects élémentaires de notre forme, glaive, coupe, fleur, etc, et qu’elle ne danse pas, suggérant, par le prodige de raccourcis ou d’élans, avec une écriture corporelle ce qu’il faudrait des paragraphes en prose dialoguée autant que descriptive, pour exprimer, dans la rédaction : poème dégagé de tout appareil du scribe.

Après une légende, la Fable point comme l’entendit le goût classique ou machinerie d’empyrée, mais selon le sens restreint d’une transposition de notre caractère, ainsi que de nos façons, au type simple de l’animal. Un jeu aisé consistait à re-traduire à l’aide de personnages, il est vrai, plus instinctifs comme bondissants et muets que ceux à qui un conscient langage permet de s’énoncer dans la comédie, les sentiments humains donnés par le fabuliste à d’énamourés volatiles. La danse est ailes, il s’agit d’oiseaux et des départs en l’à-jamais, des retours vibrants comme flèche : à qui scrute la représentation des Deux Pigeons apparaît par la vertu du sujet, cela, une obligatoire suite des motifs fondamentaux du Ballet. L’effort d’imagination pour trouver ces similitudes ne s’annonce pas ardu, mais c’est quelque chose que d’apercevoir une parité médiocre même, et le résultat intéresse, en art. Leurre ! sauf dans le premier acte, une jolie incarnation des ramiers en l’humanité mimique ou dansante des protagonistes.

Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre

deux ou plusieurs, par paire, sur un toit, ainsi que la mer, vu en l’arceau d’une ferme thessalienne, et vivants, ce qui est, mieux que peints, dans la profondeur et d’un juste goût. L’un des amants à l’autre les montre puis soi-même, langage initial, comparaison. Tant peu à peu les allures du couple acceptent de l’influence du pigeonnier becquètements ou sursauts, pâmoisons, que se voit cet envahissement d’aérienne lasciveté sur lui glisser, avec des ressemblances éperdues. Enfants, les voici oiseaux, ou le contraire, d’oiseaux enfants, selon qu’on veut comprendre l’échange dont toujours et dès lors, lui et elle, devraient exprimer le double jeu : peut-être, toute l’aventure de la différence sexuelle ! Or je cesserai de m’élever à aucune considération, que suggère le Ballet, adjuvant et le paradis de toute spiritualité, parce qu’après cet ingénu prélude, rien n’a lieu, sauf la perfection des exécutants, qui vaille un instant d’ arrière-exercice du regard, rien.. Fastidieux de mettre le doigt sur l’inanité quelconque issue d’un gracieux motif premier. Ici la fuite du vagabond, laquelle prêtait, du moins, à cette espèce d’extatique impuissance à disparaître qui délicieusement attache aux planchers la danseuse ; puis quand viendra, dans le rappel du même site ou le foyer, l’heure poignante et adorée du rapatriement, avec intercalation d’une fête à quoi tout va tourner sous l’orage, et que les déchirés, pardonnante et fugitif, s’uniront : ce sera.. Vous concevez l’hymne de danse final et triomphal où diminue jusqu’à la source de leur joie ivre l’espace mis entre les fiancés par la nécessité du voyage ! Ce sera.. comme si la chose se passait, madame ou monsieur, chez l’un de vous avec quelque baiser très indifférent en art, toute la Danse n’étant de cet acte que la mystérieuse interprétation sacrée. Seulement, songer ainsi, c’est à se faire rappeler par un trait de flûte le ridicule de son état visionnaire quant au contemporain banal qu’il faut, après tout, représenter, par condescendance pour le fauteuil d’Opéra.
À l’exception d’un rapport perçu avec netteté entre l’allure habituelle du vol et maints effets chorégraphiques, puis le transport au Ballet, non sans tricherie, de la Fable, demeure quelque histoire d’amour : il faut que virtuose sans pair à l’intermède du divertissement (rien n’y est que morceaux et placage) l’émerveillante Mademoiselle Mauri résume le sujet par sa divination mêlée d’animalité trouble et pure à tous propos désignant les allusions non mises au point, ainsi qu’avant un pas elle invite, avec deux doigts, un pli frémissant de sa jupe et simule une impatience de plumes vers l’idée.

Un art tient la scène, historique avec le Drame; avec le Ballet, autre, emblématique. Allier, mais ne confondre ; ce n’est point d’emblée et par traitement commun qu’il faut joindre deux attitudes jalouses de leur silence respectif, la mimique et la danse, tout à coup hostiles si l’on en force le rapprochement. Exemple qui illustre ce propos : a-t-on pas tout à l’heure, pour rendre une identique essence, celle de l’oiseau, chez deux interprètes, imaginé d’élire une mime à côté d’une danseuse, c’est confronter trop de différence ! l’autre, si l’une est colombe, devenant j’ignore quoi, la brise par exemple. Au moins, très judicieusement, à l’Éden, ou selon les deux modes d’art exclusifs, un thème marqua l’antagonisme que chez son héros participant du double monde, homme déjà et enfant encore, installe la rivalité de la femme qui marche (même à lui sur des tapis de royauté) avec celle, non moins chère du fait de sa voltige seule, la primitive et fée. Ce trait distinct de chaque genre théâtral mis en contact ou opposé se trouve commander l’œuvre qui emploie la disparate à son architecture même : resterait à trouver une communication. Le librettiste ignore d’ordinaire que la danseuse, qui s’exprime par des pas, ne comprend d’éloquence autre, même le geste.

À moins du génie disant : « La Danse figure le caprice à l’essor rythmique — voici avec leur nombre, les quelques équations sommaires de toute fantaisie — or la forme humaine dans sa plus excessive mobilité, ou vrai développement, ne les peut transgresser, en tant, je le sais, qu’incorporation visuelle de l’idée » : cela, puis un coup d’œil jeté sur un ensemble de chorégraphie ! personne à qui ce moyen s’impose d’établir un ballet. Connue la tournure d’esprit contemporaine, chez ceux mêmes, aux facultés ayant pour fonction de se produire miraculeuses : il y faudrait substituer je ne sais quel impersonnel ou fulgurant regard absolu, comme l’éclair qui enveloppe, depuis quelques ans, la danseuse d’Édens, fondant une crudité électrique à des blancheurs extra-charnelles de fards, et en fait bien l’être prestigieux reculé au delà de toute vie possible.

L’unique entraînement imaginatif consiste, aux heures ordinaires de fréquentation dans les lieux de Danse sans visée quelconque préalable, patiemment et passivement à se demander devant tout pas, chaque attitude si étranges, ces pointes et taquetés, allongés ou ballons. « Que peut signifier ceci » ou mieux, d’inspiration, le lire. À coup sûr on opérera en pleine rêverie, mais adéquate : vaporeuse, nette et ample, ou restreinte, telle seulement que l’enferme en ses circuits ou la transporte par une fugue la ballerine illettrée se livrant aux jeux de sa profession. Oui, celle-là (serais-tu perdu en une salle, spectateur très étranger, Ami) pour peu que tu déposes avec soumission à ses pieds d’inconsciente révélatrice ainsi que les roses qu’enlève et jette en la visibilité de régions supérieures un jeu de ses chaussons de satin pâle vertigineux, la Fleur d’abord de ton poétique instinct, n’attendant de rien autre la mise en évidence et sous le vrai jour des mille imaginations latentes : alors, par un commerce dont paraît son sourire verser le secret, sans tarder elle te livre à travers le voile dernier qui toujours reste, la nudité de tes concepts et silencieusement écrira ta vision à la façon d’un Signe, qu’elle est.

https://fr.wikisource.org/wiki/Divagations_(1897)/Ballets

Loïe Fuller

« C’est bien Mallarmé, de fait, qui parvient à définir, dans la forme la plus précise et la plus pure, cette révolution chorégraphique que constitua l’arrivée de Loïe Fuller à Paris. […] Car voici que, par une des plus étonnantes convergences qu’aient connues les arts du XIXe siècle, elle lui donnait raison :elle s’offrait comme la figure même, visible et plastique, de ses réflexions sur la danse. Il avait songé, quant aux danseuses, à l’épuisement de leur condition charnelle en scène, à la transfiguration métaphorique de leur corps absenté, à son élévation en signe, à la puissance métaphorique du mouvement ; et il se trouvait d’un coup exaucé. Une ballerine semblait avoir voulu mettre, terme à terme, ses principes en application : perdue dans ses voiles, elle révélait l’aptitude merveilleuse de la danseuse au symbole. »

Mallarmé au monde. Le spectacle de la matière, Paris, Hermann, 2019, p. 271-287.
1 DE LA PRESQUE NUDITÉ AU SPECTACLE DES VOILES, ET RETOUR
(1886, 1893, 1896-97)

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02513031/document

Les fonds dans le ballet

AUTRE ÉTUDE DE DANSE

LES FONDS DANS LE BALLET

D’APRÈS UNE INDICATION RÉCENTE

Relativement à la Loïe Fuller en tant qu’elle se propage, alentour, de tissus ramenés à sa personne, par l’action d’une danse, tout a été dit, dans des articles quelque-uns des poèmes.

L’exercice, comme invention, sans l’emploi, comporte une ivresse d’art et, simultané un accomplissement industriel.

Au bain terrible des étoffes se pâme, radieuse, froide la figurante qui illustre maint thème giratoire où tend une trame loin épanouie, pétale et papillon géants, déferlement, tout d’ordre net et élémentaire. Sa fusion aux nuances véloces muant leur fantasmagorie oxyhydrique de crépuscule et de grotte, telles rapidités de passions, délice, deuil, colère : il faut pour les mouvoir, prismatiques, avec violence ou diluées, le vertige d’une âme comme mise à l’air par un artifice.



Qu’une femme associe l’envolée de vêtements à la danse puissante ou vaste au point de les soutenir, à l’infini, comme son expansion —

La leçon tient en cet effet spirituel —

Don avec ingénuité et certitude fait par l’étranger fantôme au Ballet ou la forme théâtrale de poésie par excellence : le reconnaître, entier, dans ses conséquences, tard, à la faveur du recul.

Toujours une banalité flotte entre le spectacle dansé et vous.

La défense que cet éblouissement satisfasse une pensive délicatesse comme y atteint par exemple le plaisir trouvé dans la lecture des vers, accuse la négligence de moyens subtils inclus en l’arcane de la Danse. Quelque esthétique restaurée outrepassera des notes à côté, où, du moins, je dénonce, à un point de vue proche, une erreur ordinaire à la mise en scène : aidé comme je suis, inespérément, soudain par la solution que déploie avec l’émoi seul de sa robe ma très peu consciente ou volontairement ici en cause inspiratrice.


Quand, au lever du rideau dans une salle de gala et tout local, apparaît ainsi qu’un flocon d’où soufflé ? furieux, la danseuse : le plancher évité par bonds ou dur aux pointes, acquiert une virginité de site pas songé, qu’isole, bâtira, fleurira la figure. Le décor gît, latent dans l’orchestre, trésor des imaginations ; pour en sortir, par éclat, selon la vue que dispense la représentante çà et là de l’idée à la rampe. Or cette transition de sonorités aux tissus (y a-t-il, mieux, à une gaze ressemblant que la Musique !) est, uniquement, le sortilège qu’opère la Loïe Fuller, par instinct, avec l’exagération, les retraits, de jupe ou d’aile, instituant un lieu. L’enchanteresse fait l’ambiance, la tire de soi et l’y rentre, par un silence palpité de crêpes de Chine. Tout à l’heure va disparaître comme dans ce cas une imbécillité, la traditionnelle plantation de décors permanents ou stables en opposition avec la mobilité chorégraphique. Châssis opaques, carton cette intrusion, au rancart ! voici rendue au Ballet l’atmosphère ou rien, visions sitôt éparses que sues, leur évocation limpide. La scène libre, au gré de fictions, exhalée du jeu d’un voile avec attitudes et gestes, devient le très pur résultat.

Si tels changements, à un genre exempt de quelque accessoire sauf la présence humaine, importés par cette création : on rêve de scruter le principe.


Toute émotion sort de vous, élargit un milieu ; ou sur vous fond et l’incorpore.


Ainsi ce dégagement multiple autour d’une nudité, grand des contradictoires vols où celle-ci l’ordonne, orageux, planant l’y magnifie jusqu’à la dissoudre : centrale, car tout obéit à une impulsion fugace en tourbillons, elle résume, par le vouloir aux extrémités éperdu de chaque aile et darde sa statuette, stricte, debout — morte de l’effort à condenser hors d’une libération presque d’elle des sursautements attardés décoratifs de cieux, de mer, de soirs, de parfum et d’écume.

Tacite tant ! que proférer un mot à son sujet, durant qu’elle se manifeste, très bas et pour l’édification d’un voisinage, semble impossible, à cause que, d’abord, cela confond. Le souvenir peut-être ne sera pas éteint sous un peu de prose ici. À mon avis, importait, où que la mode disperse cette éclosion contemporaine, miraculeuse, d’extraire le sens sommaire et l’explication qui en émane et agit sur l’ensemble d’un art.

https://fr.wikisource.org/wiki/Divagations_(1897)/Les_Fonds_dans_le_ballet

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