De l’appropriation des mètres divers aux divers poèmes français

Extraits du Petit Traité de poésie française de Théodore de Banville.

  1. Le trésor des strophes déjà existantes
  2. Poëmes ayant trouvé leur forme définitive et absolue
  3. Qu’est-ce que le lyrisme?
  4. Source
Le trésor des strophes déjà existantes

Il existe un grand nombre de strophes d’odes, dont les grands poëtes, tant dans les époques primitives qu’au XVIe siècle et dans le présent XIXe siècle, ont créé la forme admirable et immortelle, soit à l’imitation des lyriques orientaux, grecs et latins, soit par le propre effort de leur génie, obéissant aux mêmes lois qui régissent le cours des astres et modèrent toutes les forces de la nature. Ce trésor des strophes d’ode déjà existantes peut être augmenté, et en effet est augmenté tous les jours par les poëtes doués du génie de la métrique. Et toutefois il faut qu’eux-mêmes ils prennent bien garde de ne pas inventer INUTILEMENT  des strophes moins belles que celles qui existent déjà, et ne s’appliquant pas à des usages différents ou n’étant pas aptes à produire des effets nouveaux.

C’est grossir à tord et démesurément le matériel que comporte la tradition de notre art, matériel déjà si long à étudier que les poëtes modernes négligent et laissent tomber en désuétude, faut de les connaître ou d’en avoir deviné l’emploi, beaucoup de strophes d’ode d’une forme ingénieuse et excellente. Un nouvelle strophe ne sera durable, n’existera par conséquent et ne vivra que si elle ne fait pas double emploi avec une strophe déjà existante, que si elle parfaitement harmonieuse et équilibré, que si enfin elle peut être chantée, condition première et indispensable de toute poésie.

Poëmes ayant trouvé leur forme définitive et absolue

D’autre part, la précieuse tradition française nous a légué un certain nombre de poèmes dont la forme, parfaitement arrêtée et définie, comporte un certain nombre fixe de strophes et de vers, en un mot un arrangement régulier et complet auquel il est interdit de changer rien, ces poèmes ayant trouvé leur forme définitive et absolue. Ces poèmes sont : le Rondel, la Ballade, la Double-Ballade, le Sonnet, susceptible par exception d’être disposé de plusieurs façons diverses, bien qu’il existe une forme type et classique du Sonnet, qui de toutes est incontestablement la meilleure; le Rondeau, le Rondeau redoublé, le Triolet, la Villanelle, le Lai, le Virelai et le Chant Royal. Je néglige de citer deux ou trois poëmes qui , tombés dans un juste oubli, ne sont qu’une tradition morte. Pourtant, lorsque je serais arrivé à la fin de cette étude, je ferai mention de ces poëmes (Sextine, Glose, Acrostiche), et en même temps de ce que les prosodistes ont nommé les Vieilles Rimes (Rimes Kyrielle, Batelée, Fraternisée, Empérière, Annexée, Enchaînée, Equivoque, Couronnée) uniquement à titre de curiosité et d’amusement.

NDLR : Ici, nous, si faibles poètes de ce XXIe siècle apoétique et ultra-prosaïque, pourront ne pas suivre le maître es poésie si  éminent qu’est Théodore de Banville, car toute forme issue de la tradition, est pour nous qui, insensés, nous sommes trouvés si inspiré de détruire toutes les formes pour mieux faire triompher la prétention à notre propre néant, se révèle dès lors, fort précieuse. Ces formes anciennes ne sont tombées dans l’oubli que parce que nous n’avons pas sur exploiter ce qu’elles avaient à nous donner. Une « tradition morte » est une tradition que vous avons négligé de faire vivre. Aucune forme ne venant au monde par hasard, aucune de ces formes ne sont donc « négligeables ». Je me souviens d’ailleurs, grâce à Th. de Banville, avoir pu écrire une Sextine qui m’a particulièrement enthousiasmé, nous en reparlerons quand nous aborderons cette forme étonnante.

M.V

Qu’est-ce que le lyrisme?

C’est l’expression de ce qu’il y a en nous de surnaturel et de ce qui dépasse nos appétits matériels et terrestres, en un mot de ceux de nos sentiments et de celles de nos pensées qui ne peuvent être réellement exprimés que par le Chant, de telle sorte qu’un morceau de prose dans lequel ces sentiments ou ces pensées sont bien exprimés fait penser à un chant ou semble être la traduction d’un chant.

Aussi peut-on poser comme axiome que l’athéisme, ou négation de notre essence divine, amène nécessairement à la surpression de tout lyrisme dans ce qu’aux époques athées on nomme à tort : la poésie. C’est pourquoi cette prétendue poésie, comme l’a prouvé tout le XVIIIe siècle, est une chose morte, un cadavre.

NDLR : Très fine observation. Et on peut en dire bien sûr tout autant pour la poésie du XXe siècle qui, hormis chez certains auteurs, et en effet chrétiens, ne chante pas. Elle est l’expression d’un athéisme qui va jusque rejeter la syntaxe comme relevant d’un ordre divin imposé. C’est un laboratoire de concassage de la langue, mais point de chant donc point de poésie. La déconstruction ne chante pas. Elle désenchante. Même Houellebecq, qui n’est pas particulièrement mystique, nous dit que toute la poésie du XXe siècle le laisse froid. C’est-à-dire qu’il reconnait lui aussi que la véritable poésie est chant. Comme elle l’a toujours été depuis son origine. L’enjeu est donc de rétablir ce lyrisme qui a été si largement, et même si institutionnellement combattu depuis plus précisément les années 80 en France et allant de pair avec la promotion de l’art dit contemporain. Un « lyrique », peintre ou poète (les poètes ont disparu les premiers) ne pouvait être qu’un abominable réactionnaire d’extrême droite, comme tous les croyants. L’observation de Th. de Banville est donc très pertinente et peu ont compris les véritables causes de la disparition du lyrisme.

M.V

Sans le Chant, sans le Lyrisme, la poésie n’est plus divine, et par conséquent n’est plus humaine puisque l’homme est un être divin.

Victor Hugo ramena l’Ode, ardente, rayonnante, animant tout de son sourire d’or, secouant sa chevelure de lumière embrasée, et pressant les flancs du coursier ailé qui semble

L’immense papillon du baiser infini!

Les contemplations, livre premier XXVI

Elle enflamma, incendia, pénétra, rempli d’elle, anima de sa lumière et de sa vie tous les genres poétiques, Epopée, Tragédie, Drame, Comédie, Eglogue, Idylle, Elégie, Satire, Epitre, Fable, Chanson, Conte, Epigramme, Madrigal. Elle se mêla à eux et les mêla à elle, si bien que les poèmes de tous les genres n’existèrent plus qu’à la condition de contenir de l’Ode en eux, et que l’Ode fondit et absorba en elle toutes les vertus et toutes les forces des différents genres de poëmes. De là ce caractère absolu de notre poésie, merveilleusement ressuscitée par Victor Hugo, et, à côté de lui ou après lui, par d’autres grands artistes : Béranger, Théophile Gautier, de Vigny, les Deschamps, Alfred de Musset, Sainte-Beuve, Baudelaire, Leconte de Lisle et les jeunes gens qui les suivirent. ELLE EST LYRIQUE, et tout homme digne de porter aujourd’hui le nom de poëte est un poëte lyrique.

Source

Petit Traité de poésie française

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