
- 19 octobre 1937 Aujourd’hui élections à l’Académie Mallarmé
- Jean Cocteau lecteur de Mallarmé
- Un rêve de Mallarmé
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19 octobre 1937 Aujourd’hui élections à l’Académie Mallarmé
Les poètes qui se sont réunis en un noyau, l’année dernière, pour fonder l’Académie Mallarmé, avaient décidé que l’Académie comporterait quinze membres.
La jeune académie de poésie a procédé lentement, et peut-être sagement, pour s’accroître : c’est aujourd’hui seulement qu’elle complète ses effectifs. Elle votera pour les deux sièges restants – disons : pour les deux assiettes, car si l’Académie Mallarmé a, par la bonne grâce de M. Julien Cain, un bout de logis officiel à la Bibliothèque nationale, au vrai elle imite les Goncourt et discute la fourchette à la main. Ses séances les plus importantes ont lieu place Gaillon.
Le vote sera connu vraisemblablement entre midi et midi et demi. Des journalistes indiscrets ont, parmi les académiciens possibles, cité les noms de notre éminente collaboratrice Gérard d’Houville, de MM. Jean Cocteau, André Salmon, Jules Supervielle, André Breton – certains, par dérision pour une académie qui a pris le nom du plus pur des poètes, parlent de M. Maurice Rostand, barde de circonstance.
20 octobre 1937
Il ne leur manque que des mécènes à ces poètes qui, sous le nom de Mallarmé, se sont constitués l’an dernier en académie afin de donner à la poésie une dignité de plus et un honneur compris de tous.
Les jeunes académiciens – dont beaucoup sont des vieillards marqués de cette gloire un peu obscure que donne le poème -montraient hier, place Gaillon, qu’ils savent tout comme d’autres déjeuner avec appétit, peser des mérites et voter avec discernement.
La différence entre l’Académie Mallarmé et ses glorieuses aînées est affligeante : elle est sans patrimoine et sans dotation. L’Académie française a le soutien de l’Etat, le flux jamais tari des apports de notaires ; l’Académie Goncourt est une héritière : la fortune paternelle lui permet les agapes de chaque mois et l’argent de poche pour le tabac au moins. Seuls, les poètes, pour faire briller la poésie, doivent mettre la main au gousset.
Réunis à déjeuner place Gaillon, les académiciens Mallarmé, parmi lesquels nous reconnaissions M. Paul Fort et M. Charles Vildrac et les têtes de la haute phalange du symbolisme, ont élu pour compléter leur compagnie notre éminente collaboratrice Mme Gérard d’Houville et M. Jean Cocteau. Deux beaux poètes. L’Académie française, elle, ne vote pas toujours pour de bons esprits.
Nous rappelons en « Courrier des Lettres » (page 2) l’oeuvre des deux nouveaux académiciens. – M. N. [Maurice Noël]
Les deux élus de l’Académie Mallarmé
On s’étonne de l’admirable convenance qui conviait hier Gérard d’Houville (Mme Henri de Régnier) à s’asseoir parmi les poètes de l’Académie Mallarmé. On s’étonne d’une justesse aussi exquise et même qu’elle n’ait point éclaté plus tôt.
Place Gaillon, dans le célèbre restaurant où l’on attendait de connaître les suffrages de l’Académie Mallarmé, un jeune journaliste racontait comment le nom de Gérard d’Houville était venu pour la première fois sous ses yeux de dix-sept ans, comment il en avait reçu l’amour de la poésie et comme un trouble enchanteur. Le Figaro avait interrogé plusieurs écrivains sur la plus belle phrase de Michelet et Gérard d’Houville
répondait :La plus belle phrase de Michelet sera toujours pour moi, celle-là que mon père prononçait, jadis, en rian et posant sa main sur mes cheveux noirs : « Sombre comme la nuit et comme elle, peu sûre… »
On a discuté pour enlever, comme il le faut, cette phrase à Michelet et la rendre à Vigny, mais quel admirable devin :
Mon âme, fleur funèbre, ô nuit t’embaumera ;
Papillon ténébreux que le sort fit diurne,
Son aile d’ombre errante en l’ombre se perdra.
Et moi qui fus si grande, une très petite urne
D’argile ou de cristal transparent contiendra
Ma chair voluptueuse et mon coeur taciturne.
Gérard d’Houville est née à l’un des foyers mêmes de la poésie moderne. Elle est fille, ainsi que Mme René Doumic, de José-Maria de Heredia. Elle apporte à l’Académie de poésie deux grands souvenirs : celui d’Henri de Régnier et l’autre, de ces réceptions chez Mallarmé dont les témoins sont devenus rares et qu’elle a connues dans la fraîcheur d’une sensibilité d’adolescente.
Prise exquise du réel et des sentiments de l’âme, suavité et mélancolie, ressources somptueuses du verbe : tous ces dons, tous ces privilèges, nos lecteurs les connaissent mieux que d’autres : ils personnifient le talent de Gérard d’Houville. Ils ont marqué son oeuvre depuis les poèmes signés trois étoiles dans la Revue des Deux Mondes à la fin du siècle dernier, depuis l’Inconstante, l’Esclave, Le temps d’aimer, le Séducteur et les délicieux morceaux de Je crois que je vous aime.
***
M. Jean Cocteau est la poésie, même au théâtre – la poésie parisienne. Il est né en 1891, à Maisons-Laffitte, et il semble déjà occuper toute la littérature de ce bon tiers de siècle. Personne n’aura traduit autant que lui les changements, les inquiétudes, les recherches, les sauts du goût littéraire.
A vingt ans, il publiait la Danse de Sophocle et, à chaque oeuvre nouvelle depuis, un visage nouveau nous était offert, presque un art nouveau.
Qu’on se souvienne des égarements du Cap de Bonne-Espérance (1919), de Vocabulaire, de la sagesse malherbienne de Plain-chant, du Discours du Grand Sommeil, tant de cocasserie poétique, d’intention à en perdre haleine, de génie du goût et de l’émerveillement.
S’il passait pour un magicien peu amuseur et couturier, ce serait au mépris des beaux et grands vers que l’on a reçus de lui.
Qui n’a pas dans la mémoire ceux de Plain-chant, des plus insignes ? Il s’agit, par exemple, de l’être aimé dont la pensée finit dans le sommeil :
Mauvaise compagne, espèce de morte,
De quels corridors,
De quels corridors pousses-tu la porte,
Dès que tu t’endors ?
Je te vois quitter ta figure close,
Bien fermée à clef,
Ne laissant plus la moindre chose
Que ton chef bouclé.
Je baise ta joue et serre tes membres,
Mais tu sors de toi,
Sans faire de bruit, comme d’une chambre,
On sort par le toit.
L’Académie Mallarmé a voté avec honneur. – J. F.
(A suivre…)
Félicitations à l’heureux gagnant de notre jeu, Grégory Haleux, des éditions Cynthia 3000, qui viennent de faire paraître Triling de Jean-René Lassalle, que je commanderai bientôt, sans connaître l’auteur, tant les livres de cette maison sont beaux et originaux, avant les prochains ouvrages annoncés de Fagus & Tailhade – rien que ça ! Il recevra un prix surprise, et notre ami de Tomblands, aussi.
Publié par Mikaël Lugan https://lesfeeriesinterieures.blogspot.com/2009/01/le-feuilleton-lectoral-de-lacadmie.html
Jean Cocteau lecteur de Mallarmé

https://histoires-litteraires.fr/produit/jean-cocteau-lecteur-de-mallarme/
Un rêve de Mallarmé

Mallarmé faisait le rêve d’un ballet où les ballerines ne seraient plus des ballerines, les tutus, plus des tutus, mais où chaque élément serait un symbole dansant. Cocteau, que l’idée réjouit, objecte pourtant : la scène est bien réelle, les acteurs bien humains, et l’incarnation des concepts ne peut se passer d’une connaissance parfaite de la mécanique théâtrale. L’auteur de ces lignes, on le sait, ne saurait pour autant être taxé d’un prosaïsme excessif, et sa description du travail mené autour du Bœuf sur le toit ou des Mariés de la Tour Eiffel évoque volontiers la vision d’un atelier de fées et annonce la naissance d’un théâtre renouvelé et total.
Le second texte de ce volume est un hommage à Serge Diaghilev.
http://www.fatamorgana.fr/noms/jean-cocteau