Vérité – ἡ ἀλήθεια

« Les Maîtres de vérité… sont trois types de personnages que leurs fonctions qualifient, dans le contexte social et culturel de la Grèce archaïque, comme détenteurs d’un privilège inséparable de leur rôle institutionnel. Ces trois personnages sont l’aède, le devin, le roi de justice ; leur commun privilège est de dispenser la « Vérité ». Du moins traduisons-nous ainsi le mot grec « Aléthéia » dont les valeurs, dans la pensée religieuse ancienne, ne débordent pas moins le cadre de notre concept du vrai que ne le fait, par exemple, le « Rta » des Indo-Iraniens : cette « vérité » qui n’est séparable ni de l’ordre rituel, ni de la prière, ni du droit, ni de la puissance cosmique assurant le retour régulier des aurores.
Livre passionnant, que les sociologues de la religion comme les historiens de la philosophie doivent lire. »
J.-P. Vernant, Archives de sociologie des religions.

Le concept d’alètheia (ἀλήθεια en grec ancien), issu de la philosophie grecque antique, a été utilisé par Parménide dans son poème De la nature. Selon Parménide, on peut opposer le domaine de la Vérité (alètheia) à celui de l’opinion, ou doxa. Selon les Définitions du pseudo-Platon, l’alètheia est la « disposition qui permet l’affirmation et la négation ».

Martin Heidegger a renouvelé l’approche du concept d’alètheia.

  1. L’Alètheia dans la Grèce antique
    1. Divinité
  2. Vérité dans la philosophie antique et médiévale
    1. Parménide et Héraclite
    2. Augustin d’Hippone
    3. Thomas d’Aquin
  3. Voir aussi
L’Alètheia dans la Grèce antique

Marcel Détienne, dans son ouvrage de 1967 Les maîtres de vérité dans la Grèce archaïque, a mis en évidence un certain nombre de significations qui semblent corroborer les observations de Martin Heidegger et justifier son interprétation de la notion d’alètheia comme dévoilement de l’étant et non pas comme jugement qui date du début des années 1920.

« La parole (de Vérité) est du même ordre : comme la main qui donne, qui reçoit, comme les gestes d’imprécation, elle est une force religieuse qui agit en fonction de sa propre efficacité. »

— Marcel DétienneLes maîtres de vérité

Les points essentiels à retenir, que l’on retrouvera dans l’approche heideggerienne, sont :

  1. l’efficacité : la « Parole de vérité » n’est pas séparée de sa réalisation parce qu’elle fait corps avec les forces de la nature, note Marcel Détienne ;
  2. l’intemporalité : la « Parole de vérité » se prononce dans un temps qui échappe à la succession en englobant présent, passé et futur comme la parole de Calchas dans l’Iliade d’Homère, commentée par Gérard Guest ;
  3. cette parole magico-religieuse transcende les hommes ; elle n’est pas la manifestation d’une volonté ;
  4. la « Parole de vérité » est aussi parole de justice, une parole qui met en jeu la mémoire, la confiance, la faculté de persuasion et l’adhésion ultime;
  5. les Grecs anciens ne connaissent pas l’opposition tranchée entre vérité et fausseté, d’autres couples d’opposés viennent perturber ce schéma, « mémoire / oubli », « efficace / non efficace », « juste / injuste », « confiance / tromperie », « persuasion / inaudible ».

En résumé, la « Vérité-alètheia », n’est pas encore un concept, et surtout pas encore un jugement de correspondance, elle s’exprime dans une Parole, une Parole magico-religieuse, dite par les hommes habilités et qui expriment une force et est une partie prenante de la Phusis. En tant que telle, elle est efficace et a pour fonction de dire et d’agir sur ce qui est. Mais l’alètheia, y compris pour les « Maîtres de vérité » que sont les rois de justice et les prêtres, restera toujours fragile, voilée, soumise à l’erreur, à la tromperie ou à l’oubli, en un mot à la Léthé.

Divinité
Bartolomeo Guidobono, La Verité dévoilée par le Temps, tableau peint avant 1709

En tant que divinité, Alétheia est l’équivalent grec de la déesse romaine Veritas, une personnification de la vérité.

Vérité dans la philosophie antique et médiévale

Parménide et Héraclite

Selon l’historien de la philosophie Edouard Zeller, on peut distinguer deux périodes dans la philosophie présocratique : pour les premiers ioniens (Thales, Anaximandre,…), les pythagoriciens et pour Parménide, la question fondamentale est celle de la substance des choses : de quoi sont faites les choses? À partir d’Héraclite, « la question fondamentale est celle des principes du devenir et du changement ». De Parménide, il nous reste des fragments de son poème De la Nature, dans lequel il oppose nettement deux voies de recherche : l’une est « le chemin de la certitude qui accompagne la vérité », l’autre est « ce qui se pense selon les opinions humaines ». La première voie dit que l »Être est et qu’il n’est pas possible qu’il ne soit pas ». L’autre dit que « l’Être n’est pas et nécessairement le non-être est ».Comment comprendre cette notion parménidienne de l’Être »? Sébastien Charles oppose ceux qui font de Parménide le fondateur de la métaphysique : Hegel, Nietzsche et Heidegger (qui a consacré tout un cours à Parménide), et ceux qui à la suite de Burnet (Luc Brisson ou Yvon Lafrance), considèrent que l’Être parménidien ne désigne rien d’autre que le monde matériel dans sa globalité. Toujours est-il que la pensée de Parménide s’oppose à celle d’Héraclite. « Pour Parménide, l’unité de l’être rend impossible la déduction du devenir et de la multiplicité; pour Héraclite, au contraire, l’être est éternellement en devenir. »

En savoir plus https://fr.wikipedia.org/wiki/V%C3%A9rit%C3%A9#Parm%C3%A9nide_et_H%C3%A9raclite

Augustin d’Hippone
Antiquité tardive ; Augustin d’Hippone ; Augustin vu par Botticelli (vers 1480)

Augustin d’Hippone, philosophe et théologien chrétien de l’Antiquité tardive, conçoit la vérité comme l’expérience ultime de la vie spirituelle. Il aborde le rapport de l’homme à la vérité à travers la question de l’enseignement du dogme et de sa compréhension. Pour lui, il n’y a pas de « communication horizontale » entre les hommes. Le dialogue se joue non pas à deux, mais à trois. Toute communication authentique est « triangulaire » : toi, moi, et la Vérité qui nous transcende tous les deux, et dont nous sommes, toi et moi, les « condisciples ». Ainsi, Augustin s’inspire de la pensée philosophique de la Réminiscence de Platon, mais pour lui donner un sens exclusivement chrétien. Les vérités éternelles seraient en Dieu, qui ne les a cependant pas créées. Elles constitueraient le verbe de Dieu. C’est à partir de ce modèle qu’il aurait pu concevoir un monde bon.

En savoir plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/V%C3%A9rit%C3%A9#Augustin_d’Hippone

Thomas d’Aquin
Saint Thomas d’Aquin, le docteur angélique
Retable de Carlo Crivelli (1494).

Thomas d’Aquin, religieux de l’ordre dominicain et philosophe du xiiie siècle, produisit une oeuvre théologique qui s’efforce de concilier les vérités de la foi issues de la bible et des dogmes de l’église catholique avec les vérités de la raison issues des philosophes et spécialement d’Aristote dont il étudia précisément le traité De l’interprétation, ainsi que les commentaires antérieurs au sien, en les dégageant de leurs influences néoplatoniciennes ou arabes.

Selon lui, l’homme peut acquérir la connaissance de Dieu grâce à la raison naturelle, à partir de l’observation de l’univers : c’est la voie cosmologique : il proposera cinq voies : les Quinque viae. Mais cette connaissance rationnelle doit être aidée et complétée par la révélation et par la grâce de la rédemption. En effet, foi et raison ne peuvent se contredire car elles émanent toutes deux de Dieu, théologie et philosophie ne peuvent aboutir à des vérités divergentes. Il s’oppose donc à la doctrine de la double vérité, attribuées aux averroïstes latins Siger de Brabant et Boèce de Dacie, selon laquelle une assertion peut être vraie d’un point de vue philosophique et fausse du point de vue de la foi. Il y a cependant une distinction de méthode : la raison naturelle (ratio naturalis) est ascendante : elle va du bas (les créatures) vers le haut (Dieu), alors que la théologie fondée sur la Révélation est descendante : elle part des vérités reçues de Dieu pour comprendre les créatures. C’est à lui qu’on attribue l’adage selon lequel « la philosophie est la servante de la théologie » (Philosophia ancilla theologiae) ce qui signifie que la théologie est une science supérieure qui tient ses principes de la Révélation, alors que la philosophie tient ses principes de la seule raison.

Pour Thomas d’Aquin, reprenant la définition de Isaac Israeli, « la vérité est l’adéquation de l’intellect aux choses » (veritas est adæquatio intellectus et rei). Cette définition de la vérité est proche de celle d’Aristote, qui écrit : « Ce n’est pas parce que nous pensons d’une manière vraie que tu es blanc, mais c’est parce que tu es blanc, qu’en disant que tu l’es, nous disons la vérité ».

Timeo hominem unius libri – je crains l’homme d’un seul livre – est une Pensée de saint Thomas d’Aquin. C’est-à-dire celui qui a lu et relu et qui le connaît, est un homme à redouter, un homme qui sait. D’autres interprétations sont aussi connues. Ainsi, on peut traduire : l’homme qui a choisi un livre, qui s’en tient à cette seul opinion, celui de l’auteur, et donc un unique point de vue, en devient « trop exclusif ».

Voir aussi

Laisser un commentaire