DE L’ÎLE DE PTYX

Photos tirées de cette vidéo https://www.youtube.com/watch?v=_sdDsIiNvn4&t=1509s

« deux colonnes distantes, isolement de deux prismatiques trinités de tuyaux de Pan, épanouirent au jaillissement de leurs corniches la poignée de main quadridigitale des quatrains du sonnet »

Extrait de L’ÎLE DE PTYX d’Alfred Jarry

Le seigneur de l’île vint vers nous dans un vaisseau : la cheminée arrondissait des auréoles bleues derrière sa tête, amplifiant la fumée de sa pipe et l’imprimant au ciel. Et au tangage alternatif, sa chaise à bascule hochait ses gestes de bienvenue.

(Alfred Jarry pour les « Mardis de Mallarmé »)

XIX

DE L’ÎLE DE PTYX

À Stéphane Mallarmé.

L’île de Ptyx est d’un seul bloc de la pierre de ce nom, laquelle est inestimable, car on ne l’a vue que dans cette île, qu’elle compose entièrement. Elle a la translucidité sereine du saphir blanc, et c’est la seule gemme dont le contact ne morfonde pas, mais dont le feu entre et s’étale, comme la digestion du vin. Les autres pierres sont froides comme le cri des trompettes ; elle a la chaleur précipitée de la surface des timbales. Nous y pûmes aisément aborder, car elle était taillée en table, et crûmes prendre pied sur un soleil purgé des parties opaques ou trop miroitantes de sa flamme, comme les antiques lampes ardentes. On n’y percevait plus les accidents des choses, mais la substance de l’univers, et c’est pourquoi nous ne nous inquiétâmes point si la surface irréprochable était d’un liquide équilibré selon des lois éternelles, ou d’un diamant impénétrable, sauf à la lumière qui tombe droit.

Le seigneur de l’île vint vers nous dans un vaisseau : la cheminée arrondissait des auréoles bleues derrière sa tête, amplifiant la fumée de sa pipe et l’imprimant au ciel. Et au tangage alternatif, sa chaise à bascule hochait ses gestes de bienvenue.

Il tira de dessous son plaid quatre œufs, à la coque peinte, qu’il remit au docteur Faustroll, après boire. À la flamme de notre punch l’éclosion des germes ovales fleurit sur le bord de l’île : deux colonnes distantes, isolement de deux prismatiques trinités de tuyaux de Pan, épanouirent au jaillissement de leurs corniches la poignée de main quadridigitale des quatrains du sonnet ; et notre as berça son hamac dans le reflet nouveau-né de l’arc de triomphe. Dispersant la curiosité velue des faunes et l’incarnat des nymphes désassoupies par la mélodieuse création, le vaisseau clair et mécanique recula vers l’horizon de l’île son haleine bleutée, et la chaise hochante qui saluait adieu.

Alfred Jarry

Gestes et opinions du docteur Faustroll, Fasquelle éd., 1911 (p.31-65).

Ptyx est un mot de sens inconnu employé par Stéphane Mallarmé dans le poème Sonnet allégorique de lui-même, appelé aussi, dans une autre version, Sonnet en X, publié dans le recueil Vers et prose : morceaux choisis.

Ce terme n’apparaît qu’une seule fois dans l’œuvre de Mallarmé. À ce titre, il est souvent mentionné comme exemple d’hapax.

Les commentateurs en ont longtemps cherché le sens avant la découverte, dans la correspondance du poète, d’un texte qui résout la question :

«  Enfin, comme il se pourrait toutefois que, rythmé par le hamac, […] je fisse un sonnet, et que je n’ai que trois rimes en ix, concertez-vous pour m’envoyer le sens réel du mot ptyx, ou m’assurer qu’il n’existe dans aucune langue, ce que je préférerais de beaucoup afin de me donner le charme de le créer par la magie de la rime. […] je vous en supplie avec l’impatience « d’un poëte en quête d’une rime »  »

— Stéphane Mallarmé, À Eugène Lefébure, 3 mai 1868 – In : Œuvres complètes ; éd. par Bertrand Marchal ; t. I – Gallimard, Paris, 2003 ; p. 728 sq.

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