Eventuel ravalement de la maison de Madame Mallarmé à Sens

Ancien Vice-Président de la Société Française des Traducteurs, je suis venu à Sens pour loger ma bibliothèque. Et j’habite la maison de Madame Mallarmé, aujourd’hui menacée d’un ravalement par des incompétents. Je vous fais parvenir un texte de 2 pages sur le sujet.

Denis GRIESMAR

EVENTUEL RAVALEMENT DU 54, GRANDE RUE A SENS

Il aurait été question, lors de la dernière réunion de l’Assemblée des copropriétaires, de faire procéder à un ravalement de la façade donnant sur la Grande Rue. Je voudrais apporter les précisions suivantes.

La maison, sur l’alignement de la Grande Rue, existe depuis les Romains (decumanus, axe Est-Ouest). Son aspect actuel est d’époque Louis XV. La maison présente un intérêt historique certain. D’abord connue sous le nom de Maison du Velours d’Utrecht, parce qu’ayant été le domicile d’un fabricant de cette matière, elle prit ensuite, sous le Second Empire, le nom d’Hôtel Libéra des Presles. M. Libéra des Presles, juge au Tribunal de Grande Instance de Sens, avait une famille, des enfants, une gouvernante (on ne disait pas encore « jeune fille au pair »), qui fut d’abord une jeune Anglaise, puis une Hessoise (en cet heureux temps où l’Allemagne n’était pas unifiée) qui s’appelait Maria Gerhard. Perpendiculairement, et donnant sur la rue Nonat Fillemin, se trouve un autre ancien hôtel particulier, l’Hôtel Sallot de Varennes, du nom d’un personnage qui joua un rôle lors de la Révolution à Sens (il y était opposé). Au temps du Second Empire, cette maison (qui depuis a servi à diverses Associations) était la Conservation des Hypothèques. Et le Conservateur des Hypothèques était un certain M. Numa Mallarmé, qui avait un fils, Etienne, dit Stéphane, Mallarmé – le poète. Lequel fit la cour à la jeune Maria Gerhard, qui devint Mme Mallarmé. Il arrive de temps en temps qu’un Professeur des Ecoles s’arrête devant la maison pour raconter l’histoire à ses élèves. Le professeur Henri Mondor, spécialiste de médecine interne mondialement reconnu, et par ailleurs fin lettré et spécialiste de Mallarmé, vint à Sens pour écrire sa Vie de Mallarmé (et il avait parmi ses élèves étudiants en médecine à l’Hôtel-Dieu, à Paris, une externe – la mère du présent auteur).

Il importe donc de traiter la maison avec soin et respect, et d’éviter de la dénaturer, par un enthousiasme précipité (pour « faire prop’ ») en employant des matériaux et modes opératoires inappropriés.

Or il se trouve que la plupart des « ravalements », aujourd’hui, sont des désastres esthétiques et techniques, de par l’emploi d’un matériau, le « ciment », incompatible avec les matériaux anciens (pierre, brique, tuile). Ce qu’on appelle aujourd’hui le ciment date en France des brevets Vicat, époque (XIXème siècle) où l’architecture s’est peu à peu dégradée en « style banlieue ». Le ciment, notamment de par sa teneur en aluminium, empêche le mur de respirer (c’est-à-dire empêche le passage de la vapeur d’eau), ce qui, derrière un trompeur aspect fini (sans même parler de la triste couleur grise, parfois maquillée avec des colorants artificiels) dégrade le mur d’origine. A cela il faut ajouter des façons aberrantes, soit en creux (avec l’erreur consistant à faire apparaître toutes les pierres, parfois gélives et non conçues pour être montrées – effet de « télévision mal réglée »), soit en saillie (style « Bibendum »). L’architecture ancienne est composée, et conçue pour attirer l’attention sur certains éléments (comme une imposte ou un entourage de porte), et non sur tous indistinctement. Sans même parler de l’aberrant « style pizzeria » !

Il se trouve que l’enseignement professionnel en maçonnerie ne prépare pas du tout les artisans et ouvriers à agir convenablement sur le bâti ancien. Et que la municipalité elle-même donne rarement le bon exemple (cf l’ancien bâtiment municipal de la rue de Laurencin, consciencieusement tartiné de ciment gris).

Le bon matériau à employer pour les enduits et les joints, dans le bâti ancien, est la chaux aérienne, malheureusement tombée en désuétude chez les maçons d’aujourd’hui (avant un regain chez les plus compétents, parfois aidés par des Associations telles que Maisons Paysannes de France) – certes le ciment a ses qualités propres, notamment sa prise rapide, mais on ne peut l’utiliser sans précautions.

Or il existe un interlocuteur compétent dans chaque Département : le C.A.U.E., Conseil Départemental d’Urbanisme, d’Architecture et de l’Environnement. Celui de l’Yonne est à Auxerre, 11 rue du 4 Septembre, 88000 AUXERRE, tél. 03-58-43-80-33 contact@caue89.fr

Ses conseils sont gratuits. J’ai personnellement été Membre Fondateur d’un CAUE dans un autre Département, dans une autre Région.

On consultera avec avantage les ouvrages de référence suivants :

– G. Doyon et R. Hubrecht, L’Architecture Rurale et Bourgeoise en France (Vincent, Fréal & Cie, Editeurs) ;

– René Fontaine, La Maison de Pays (Seghers).

En l’espèce, il faut savoir qu’un aspect non impeccable n’est pas grave : il est normal que l’humidité de la pluie pénètre superficiellement dans le mur – elle ressort, car le mur « respire ». En revanche, une humidité plus importante venant du sol trahirait un problème spécifique à traiter.

Un éventuel ravalement n’aurait ici aucun caractère d’urgence, notamment du fait des importants frais d’élagage déjà imposés aux copropriétaires – qui souhaitent, eux aussi, respirer, ainsi que du fait qu’un caractère trop neuf de la façade pourrait apparaître, dans les circonstances actuelles, comme une provocation aux graffitis et aux dégradations de tous ordres.

Pour vivre heureux, vivons cachés.

Le présent texte est à diffuser à tous les copropriétaires, ainsi qu’au C.A.U.E. de l’Yonne et à la Société Archéologique de Sens.

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